Président de l’Association des Maires de Mauritanie (AMM).
D’abord opérateur économique, le maire deNouakchott est, assurément, un homme multidimensionnel. Président de la FIM(Fédération des Industries et Mines de Mauritanie), il est également Président de laCommunauté Urbaine de Nouakchott(CUN) et de l’Association des Maires de Mauritanie (AMM) depuis janvier 2007.
Dans l’entretien à bâtons rompus qu’il nous a accordé, Ahmed Ould Hamza passe en revue les multiples défis auxquels sa ville doit faire face et nous parle des réalisations à son actif.
Farouche partisan de l’intégration régionale, il prône surtout une large solidarité entre le monde arabe et celui sub-saharien, et dont la Mauritanie, son pays, est un exemple achevé de trait d’union, par la diversité et la richesse des ethnies qu’elle abrite.
Reflets d’Afrique : Monsieur le Président, voulez-vous, à l’entame de cet entretien, vous présenter à nos lecteurs ?
Ahmed Ould Hamza : Je suis d’origine de la région d’Inchiri dont la capitale est Akjoujt et membre de la tribu chérifienne des Oulad-Besba. Toutefois, j’ai passé 20 ans, à vrai dire toute ma jeunesse à Dakar. Je suis donc fortement imprégné des cultures négro-africaines. Et c’est comme cela que je vois la Mauritanie. Un pays trait d’union entre le monde arabe et celui sub-saharien ; un pays dont la vocation est de faire vivre les solidarités entre les différentes composantes ethniques, sociales et culturelles qui le composent.
L’autre élément de mon identité, si j’ose dire, est le fait que je ne suis pas un fonctionnaire de l’Etat mais depuis 1974 j’évolue dans le secteur privé. Je me définis comme un industriel de toujours. Actuellement Président de la FIM (Fédération des Industries et Mines de Mauritanie), je suis également Président de la Communauté Urbaine de Nouakchott (CUN) et de l’Association des Maires de Mauritanie (AMM) depuis janvier 2007.
Reflets d’Afrique : La ville de Nouakchott, à l’instar des grandes villes africaines, voire du monde, est confrontée à divers défis, liés à l’urbanisation et, en l’occurrence, à son statut de capitale. Par rapport à cela, quelles sont vos priorités ?
Ahmed Ould Hamza : Dressons un bref tableau de la réalité urbaine dans le monde puis en Mauritanie. En 1990, moins de 40% des habitants dans le monde vivaient en ville. Ils étaient 50% en 2010 et seront 70% en 2050 . Nous ne serons alors pas loin de 9 milliards d’habitants à en croire les experts de l’ONU. Cette croissance aura lieu principalement dans les pays du Sud, qui devraient passer de 5,4 milliards d'individus en 2007 à 7,9 milliards en 2050.
Par ailleurs, il faut savoir qu’en 2030, 60% des citadins auront moins de 18 ans. Cette évolution globale est irrévocable. Ainsi l’Afrique, continent de plus d’un milliard de personnes, dont 40% vivent en milieu urbain, doublera d’ici 50 ans sa population. 60% de celle-ci sera établie en milieu urbain, soit pour être précis, plus de 1,23 milliard d’individus. A titre d’exemple, ma ville, Nouakchott, accueille aujourd’hui plus d’un million de mauritaniens sur presque les quatre que compte le pays.
Face à ces réalités, nous devons :
- maitriser notre développement urbanistique et l’extension géographique de Nouakchott, notamment par une politique de densification de l’habitat mais aussi d’offre de logements sociaux pour les plus démunis et mettre fin, notamment, ainsi aux gazras qui concernent plusieurs centaines de milliers de personnes à Nouakchott;
- offrir un accès aux services et infrastructures urbaines de base (santé, éducation, eau et assainissement, voirie et transport, communication sociale..) qui eux-mêmes doivent être de qualité.
- inciter l’entreprenariat économique et toute activité génératrice d’emplois ou de revenus (création de micro entreprises, activités économiques individuelles..), à destination de tous les nouakchottois et nouakchottoises en âge de travailler. La Fonction publique ne peut pas être le seul horizon en termes de perspective d’emploi.
- mettre en place une gouvernance démocratique locale qui implique les différents acteurs de la cité quant à la définition des grandes orientations de Nouakchott. Au-delà des différences, par ailleurs légitimes, de chacun, il s’agit de trouver des points, des centres d’intérêts communs pour le bien vivre ensemble. Lorsque la ville et les inégalités s’étendent, c’est une action essentielle pour que celle-ci ne soit pas confrontée à des turbulences sociales radicales.
Ceci étant, être Président de la CUN n’offre pas tous les pouvoirs pour agir. Les 9 communes de Nouakchott sont des collectivités publiques de plein exercice sur leur territoire sous la tutelle de l'Etat. Elles sont réunies en groupement d'intérêt public - la Communauté Urbaine de Nouakchott (CUN) - qui a pour objectif d'élaborer et conduire un projet municipal commun dans le cadre d’attributions municipales et communautaires mal réparties.
Par ailleurs, l’Etat, surtout à Nouakchott, tient à marquer sa présence dans les communes et cela souvent en parfaite contradiction avec les lois, ordonnances, décrets ou arrêtés promulgués par ses soins pour encadrer la décentralisation mauritanienne.
RA: Quels sont les programmes phares mis en œuvre par la Communauté Urbaine de Nouakchott et les résultats obtenus ou attendus ?
AH : Nous avons dans les premiers temps mis de l’ordre dans la maison si j’ose dire. Auparavant déficitaire, la CUN est aujourd’hui excédentaire. Les salaires sont payés en temps, en heure à un personnel réduit en nombre mais dont la qualité et les compétences ont augmenté. Le parc roulant comme nos biens immobiliers sont en état et bénéficient d’une ligne budgétaire pour leur entretien.
Tout ceci est important car la mission des élus locaux est d’offrir un cadre de vie favorable à leurs concitoyens et d’apporter des réponses à leurs besoins et difficultés. Et sans une contribution sur le budget de l’Etat, il s’avère important i) de dégager des recettes propres ; ii) d’être crédible auprès des bailleurs de fonds pour que ces derniers concourent au financement de votre politique sociale.
Ainsi nous avons financé un grand nombre d’infrastructures sociales et économiques (marchés…) dans les communes, participé à la rénovation de nombreuses mairies, financé la rénovation de plus de 25 km (assainissement et goudron) de voirie à Nouakchott, offert l’accès à l’eau potable pour des dizaines de milliers de familles, soutenu des centaines d’associations qui agissent concrètement en faveur des habitants de leur ville via l’appui à l’alphabétisation, à la création de coopératives et la mise en œuvre d’actions culturelles. Notons que la CUN ne bénéfice d’aucun soutien de l’Etat pour mener à bien sa politique en faveur de sa population.
Reflets d’Afrique : La coopération décentralisée offre des opportunités de partenariat et d’échanges, mutuellement bénéfiques. Qu’en est-il pour la Communauté Urbaine de Nouakchott ?
Ahmed Ould Hamza : Depuis 2002 la CUN bénéficie d’une forte coopération avec la Région Ile de France. Dés mon arrivée en 2007, celle-ci a été relancée afin que notre coopération offre des réalisations concrètes en faveur des nouakchottois (es). Ainsi le parc OMVS, l’éclairage solaire, le financement d’infrastructures sociales, la mise en place de postes de santé, l’appui à l’insertion économique des jeunes, entre autres, sont des réalisations qui illustrent cette volonté. La RIF et la CUN viennent d’ailleurs de tenir notre comité mixte de coopération qui structure celle-ci pour les 5 années à venir.
Mais outre la RIF, nous avons engagé un partenariat avec d’autres villes du Nord comme Evry ou l’association internationale des maires francophones (AIMF), Sénart Val de Seine en France ou Lausanne en Suisse qui appuient notre action en faveur de l’accès à l’eau pour tous.
Sur un autre plan, et je reviens sur ce que je disais en introduction, nous avons également développé des jumelages avec des villes du Maghreb (Rabat, etc...), et de l’Afrique subsaharienne comme Dakar, Bamako, Brazzaville… L’idée est double : apporter un appui à nos compatriotes installés dans ces villes ; concrétiser le concept de trait d’union entre les deux parties de notre continent. Je suis par ailleurs membre de la direction de différents réseaux mondiaux tel que CGLU/A METROPOLIS, FMDV, AIMF, ARLEM…
Cette intense activité liée à la « diplomatie des villes » conduit Nouakchott à être une capitale connue et reconnue internationalement pour son dynamisme et sa volonté d’agir en faveur de ses citoyens. Du coup, d’autres financements existent pour soutenir mon action intercommunale : UE, Coopération française, Agence Française de Développement, Banque mondialedans le cadre du Programme de Développement Urbain (PDU)….
Reflets d’Afrique : Monsieur le Président, vous êtes à la tête de la CUN, mais aussi de l’Association des maires de Mauritanie. Quels sont aujourd’hui les acquis à l’actif de cette association et les perspectives ?
Ahmed Ould Hamza : L’Etat mauritanien ne soutient pas l’AMM contrairement à d’autres gouvernements – quelle que soit leur obédience politique - des pays de la sous-région qui, eux, ont compris tout l’intérêt d’avoir comme interlocuteur une Association des élus locaux efficiente et efficace. C’est donc la CUN qui apporte l’unique contribution financière à l’AMM. Vous comprendrez que dans ces conditions, celle-ci a des difficultés à exister. Ceci dit, l’AMM regroupe la majorité des 216 maires mauritaniens et tient régulièrement des réunions d’échanges.
Reflets d’Afrique : Dakar s’apprête à abriter le Sommet mondial des Villes, dénommé Africités. Qu’attendez-vous d’un tel événement et comment comptez-vous y participer ?
Ahmed Ould Hamza : Je serai Inchaalah évidemment présent à cet évènement majeur pour les villes Africaines. Etant membre de la Direction de CGLUA, organisation co-organisatrice de cet évènement, je suis sa préparation de près d’autant plus que ces activités seront organisées à Dakar, une ville jumelée avec Nouakchott, et le maire Khalifa et moi-même sommes plus que des amis, mais des frères condamnés par la communauté de destins et les contraintes de la mondialisation, à coopérer et à unir nos efforts, sans oublier aussi mon frère l’ancien ministre d’Etat Baldé qui est par ailleurs Président de l’AMS.
Reflets d’Afrique : Vous êtes connu, par ailleurs, comme opérateur économique et vous contribuez à la création d’emplois et à la croissance économique. Quelle appréciation faîtes-vous de la situation économique nationale et des perspectives?
Ahmed Ould Hamza : La productivité du travail est au-dessous de la moyenne comparée aux pays à revenu intermédiaire hors de la région Afrique. Les firmes manufacturières en sont peu productives: la productivité du travail et du capital est faible. Tout ceci implique que les performances à l’exportation et la rentabilité des firmes manufacturières sont limitées.
Ce constat d’une faible productivité n’est malheureusement pas restreint à l’industrie manufacturière, la productivité dans les autres secteurs de l’économie reste assez faible. Ceci pose le problème des éléments limitant la croissance de la productivité en Mauritanie.
Selon toute vraisemblance, les principales contraintes du monde des affaires en Mauritanie sont respectivement l’inefficacité de la réglementation, l’insécurité juridique, l’instabilité politique, la défaillance des facteurs de production (capital et travail), la quasi inexistence de l’épargne, le manque d’infrastructures efficientes (électricité, port, transport) et cela malgré les efforts entrepris pour y remédier.
Reflets d’Afrique : Quel regard jetez-vous sur l’environnement économique qui prévaut dans les différents Etats africains et sur les processus d’intégration économique en Afrique ?
Ahmed Ould Hamza : Le rôle que mènent, à titre d’illustration la CEDEAO, l’UEMOA et la BAD pour le développement économique et la croissance, est à encourager. Toutefois, il y a des problèmes qui pèsent. Ce sont ceux des coups d’Etats et des attaques terroristes ainsi que le manque d’alternance démocratique. En effet, il faut une cohésion et une synergie entre toutes les organisations africaines, notamment la CEDEAO, le Maghreb arabe, l’Union Africaine, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA).
Ces institutions doivent à mon avis canaliser leurs efforts pour bien favoriser le climat d’affaires interafricain, d’une part et harmoniser les législations en terme économique pour une incitation à investir dans le continent tout en luttant contre l’instabilité.
Reflets d’Afrique : Selon vous, quels sont les facteurs décisifs pour la promotion des investissements en Afrique en général et en Mauritanie en particulier ?
Ahmed Ould Hamza : La souplesse des régimes fiscaux et l’allégement des procédures de créations des entreprises, la lutte contre la corruption, le développement de la recherche dans les entreprises et les spécialités en terme de productions pour chaque pays et enfin la promotion de la stabilité à travers des régimes qui croient à l’alternance démocratique et l’impulsion de l’investissement à long terme. Sans oublier bien sûr que nous avons une carence quant à l’investissement infrastructurel et que dans ce sens nous pouvons beaucoup miser pour attirer les investisseurs dans ces domaines.
Il faut également renforcer, comme je l’ai déjà évoqué, les groupements économiques de l’Union Africaine, tels que la CEDEAO pour canaliser les efforts pour un libre échange économique en Afrique. S’agissant de la Mauritanie, c’est un peu la même chose concernant la stabilité et l’alternance, sauf que la Mauritanie constitue, je le répète une fois de plus, un trait d’Union entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb.
Notre pays doit tisser dans cette perspective des stratégies de reprise basées sur cet aspect et valoriser la création des entreprises délocalisées. L’installation de la fibre optique chez nous pour la relance des activités de service en est un bon exemple, car elle va permettre de desservir l’ensemble de la sous région pour un meilleur débit internet.
Reflets d’Afrique : Avez-vous un message à délivrer ?
Ahmed Ould Hamza : Plus de démocratie, plus de décentralisation et d’amitié entre les peuples en Afrique et tout particulièrement avec les pays frontaliers.
Propos de l'interview recueillis par C. B. Samb et M. Gueye
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