dimanche 1er juillet 2012
Les islamistes ont pris le contrôle total du Nord-Mali. Les Etats africains, soutenus par Paris, préparent une action armée contre un possible sanctuaire jihadiste.
Les islamistes ont désormais le contrôle, seuls, du nord du Mali, après en avoir chassé leurs éphémères alliés séparatistes Touaregs. Une situation qui risque de déclencher une guerre régionale pour empêcher ce ventre mou sahélien de se transformer en nouvel Afghanistan, point de ralliement des jihadistes.
C’était prévisible depuis que l’alliance pas tout à fait naturelle entre les rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawa (MNLA) et des islamistes de plusieurs obédiences, liés de près ou de loin à la nébuleuse Al Qaeda, ont pris, il y a trois mois, le contrôle du nord du Mali, une zone grande comme la France.
« A leurs yeux, la guerre est à venir »
Le dernier soubresaut de cette vaste région désertique s’est déroulé mercredi à Gao, l’une des deux grandes villes du nord Mali avec Tombouctou, où les islamistes du Mouvement unicité et jihad en Afrique de l’ouest (Mujao), renforcés par des jihadistes venus d’Algérie, ont attaqué et chassé les membres du MNLA.
Abdoul Hakim, le chef du Mujao, dans l’une de ses rares photos connues (RFI/Moussa Kaka) Les rebelles touaregs, qui ont l’avantage d’être sur leur terrain, tentent de se réorganiser pour prendre leur revanche. Comme le souligne notre partenaire burkinabè, L’Observateur Paalga :
« Les rebelles touaregs clament que la débâcle qu’ils ont subie à Gao ne représente qu’une bataille ; à leurs yeux, la guerre est à venir et on verra ce qu’on va voir. »
Au même moment, les islamistes d’Ansar Dine, en contrôle de Tombouctou, la ville plusieurs fois centenaire, ont annoncé qu’ils allaient détruire tous les mausolées jugés contraires à l’orthodoxie islamique.
Ces mausolée font partie du patrimoine culturel et religieux exceptionnel de la ville, et cette annonce fait immanquablement penser à la destruction des Bouddhas géants de Bâmyian, en Afghanistan, par les talibans en 2001.
La Charia à coups de fouet
Depuis qu’ils se sont installés dans cette région, les islamistes tentent d’imposer par la force leur lecture la plus rigoriste de l’islam, et notamment les châtiments corporels de la Charia. Cette vidéo diffusée par France 2, d’une séance publique de punition au fouet d’un couple ayant eu un enfant hors mariage, a fait le tour du Web, et suscité de très nombreuses réactions en Afrique.
Notre partenaire Global Voices Online a recensé cette semaine quelques unes de ces réactions.
100 COUPS DE FOUET POUR UN COUPLE AYANT EU UN ENFANT HORS MARIAGE Comme le rapporte Jeune Afrique, Mohamed Ould Baby, un élu de la ville, décrit les circonstances de cette sentence et la scène surréaliste qui a intriguée de nombreux citadins :
« Sur la place Sankoré de Tombouctou (centre), un homme et une femme ont reçu cent coups de fouet chacun pour avoir eu un enfant hors mariage [...]. C’était comme un spectacle, les gens ont regardé ça. J’ai vu les jeunes descendre d’un véhicule sur la place, puis les coups de fouet. C’est la première fois que je vois ça. »
Tétanisés par la peur
La violence de la scène est amplifiée par le camouflage des visages des jeunes couples et l’absence de réaction des spectateurs, comme figés par la peur ou l’incompréhension. Le jeune couple a ensuite été forcé à se marier.
Le journaliste Moussa Kaka témoigne du même phénomène, une tétanisation de la population qui affecte aussi les habitants de Gao. Il raconte dans Slate Afrique :
« Le “calme de la population de Gao” [...]. Dans la “ville (qui) semble figée”. Ansar Dine et les moudjahidines contrôlent toute la partie conquise.
“Ils contrôlent la vie des habitants, ils contrôlent les mosquées, […] la façon de s’habiller, la façon de vivre…” »
Une autre personne affirme dans le même article :
« J`ai reçu quarante coups de fouet parce que je fumais et que j`ai continué à fumer après qu`on me l’ait interdit. »
Le site Malijet donne les détails des autres actes de la Charia qui ont été mis en place dans le Nord du Mali :
« La semaine dernière, des membres du Mujao avaient brûlé des cartons de cigarettes et fouetté des fumeurs à Bourem, une ville du nord du Mali qu’ils occupent et contrôlent. En mai à Gao, ils avaient empêché des jeunes de jouer au football et de regarder la télévision, ce qui avait provoqué de violentes manifestations anti-islamistes. »
Conséquences en Algérie
L’onde de choc des événements du nord Mali se fait sentir dans toute la région, et notamment en Algérie, le voisin nord du Mali, qui a une longue frontière commune avec lui.
Selon notre partenaire DNA-Algérie, Le Mujao, une organisation dissidente d’Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI), apparue en décembre 2011, a revendiqué vendredi l’attaque suicide contre le siège du commandement régional de la gendarmerie à Ouargla, dans le sud algérien. Un gendarme et le kamikaze conduisant un véhicule bourré d’explosifs ont été tués, et trois autres blessées.
Ce groupe menace de commettre d’autres attentats en Algérie. Il détient depuis avril dernier sept membres du consulat d’Algérie à Gao et réclame, pour les rendre, la llibération de prisonniers islamistes en Algérie, et une rançon de 15 millions d’euros.
C’est la deuxième attaque suicide perpétrée et revendiquée par ce mouvement en Algérie. Le 3 mars une attaque similaire a visé un bâtiment de la gendarmerie à Tamanrasset, à 1 900 km au sud d’Alger. Vingt-trois personnes ont été blessées.
Commentaire des DNA-Algérie :
« Une chose est certaine, cette organisation a prouvé qu’elle est en mesure de s’attaquer à des cibles en Algérie et dans des villes qui comptent pourtant une très forte présence militaire comme c’est le cas pour Ouargla et Tamanrasset. »
Bruits de bottes
Si l’Algérie, principale puissance régionale, reste pour l’instant discrète sur cette crise, c’est du côté des pays de la sous-région africaine que l’on s’agite, avec les tentatives, complexes et lentes, de mise sur pied d’une force armée commune de 3 300 hommes, pour intervenir au Mali, à la fois pour remettre en place un ordre constitutionnel, et pour « libérer » le nord.
Un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont fait partie le Mali, s’est tenu vendredi à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, et a été dominé par la crise malienne.
Mais aucune décision n’a été prise, ne serait-ce qu’en raison de la confusion qui continue de régner à Bamako, la capitale malienne, depuis le coup d’Etat qui a renversé le régime légal d’Amani Toumani Touré, remplacé par une junte non reconnue, qui a bien du mal à se stabiliser.
Les Etats-Unis ont mis en garde les pays d’Afrique de l’Ouest contre une guerre hâtive au nord Mali. RFI.fr rapporte que le secrétaire d’Etat adjoint, chargé des questions africaines, Johnnie Carson, a souligné vendredi, qu’une « éventuelle reconquête du Nord serait une entreprise très lourde pour la Cédéao ».
Johnnie Carson a estimé que le contingent de la Cedeao devrait s’efforcer de stabiliser d’abord le sud du pays qui « n’a plus de force armée digne de ce nom » et ne pas s’aventurer dans le Nord tout en soulignant qu’une éventuelle mission dans cette partie du pays devrait être « préparée très soigneusement et disposer de ressources en conséquence ».
Intervention de la France en soutien
Reste le rôle de la France. Même si on en parle très peu en France, le dossier malien est suivi de très près à Paris. François Hollande a exclu toute intervention directe française dans la zone sahélienne, où sont toujours détenus des otages français.
Mais, selon nos informations, la France est prête à apporter tout le soutien logistique nécessaire – et indispensable – à la Cedeao pour mener à bien une opération régionale destinée à reprendre le contrôle du nord Mali, en espérant qu’elle ne nécessitera pas d’implication directe trop forte pour l’armée française.
La France, comme les Etats-Unis, savent d’expérience qu’on entre dans ce type de guerres sans jamais savoir quand, et dans quel état, on en sortira.
D’autant que le Mujao a déjà promis des représailles à tous les pays qui s’engageraient dans une guerre au nord du Mali...
Paris, comme Washington, et les capitales africaines, ne peuvent pas, et ne veulent pas, tolérer qu’un Afghanistan du Sahel puisse voir le jour immédiatement au sud de l’Algérie, au risque de jouer, dans les années 2010, le même rôle que le pays des talibans dans les années 90, attirant les jihadistes de tous poils avec les conséquences que l’on sait.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire