dimanche 2 octobre 2011

Recensement actuel : un prétexte ou une réalité ?



Le recensement en cours en Mauritanie a dès le départ suscité beaucoup d’interrogations auprès de tous les milieux qu’ils soient politiques, économiques, syndicaux, parlementaires, sociétés civiles, démocrates, indépendants ou simplement des citoyens.

Les autorités ont vite balayé ces réticences pour taxer tous ces milieux d’opposants aigris. Les derniers événements soldés par la mort de 2 jeunes manifestants par balles réelles à Maghama qui protestaient contre le déroulement du recensement jugé discriminatoire repose de manière plus aiguë encore ce problème qui est en train de fissurer la cohésion nationale et de détruire l’unité nationale encore chancelante.

Mais que représente donc ce recensement pour rendre les autorités sourdes à toutes les mises en garde venant de toutes parts y compris de sa majorité, à toutes les manifestations tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, et aujourd’hui à la mort de 2 jeune mauritanien ?
Rappelons que la Mauritanie est un pays qui connaît des problèmes multiformes dans tous les domaines qu’ils soient de nature politique avec le dialogue national prévu par les accords de Dakar qui n’arrive pas à se réaliser, qu’ils soient de nature économique ou financier caractérisés par une récession sans précédent et un taux de chômage record en progression, qu’ils soient de nature agro-pastorale marqués par la chute de la production maraîchère et rizicole sans compter l’augmentation du prix du bétail pour le consommateur. La pauvreté est vécue au quotidien par la quasi-totalité de la population.

La priorité pour toute autorité normale, élue pour améliorer les conditions de vie de ses concitoyens et garantir leurs droits fondamentaux, est de résorber cette pauvreté par un programme simple : pacifier l’atmosphère politique et sociale par un dialogue politique ouvert mais aussi par la prise en charge réelle des dossiers récurrents du passif humanitaire et de l’esclavage pour ramener la confiance et la participation du plus grand nombre à l’effort de reprise nationale, relancer la machine économique par des incitations fiscales et des facilités de crédit au profit des investisseurs nationaux en vue de favoriser la création d’emplois, revaloriser le pouvoir d’achat des salariés presque tous sinistrés.

L’ensemble des maigres ressources nationales devait être concentré sur ces domaines. Au lieu de cela, un projet de remise à plat de l’état civil, venu de nulle part, a pris la priorité et a absorbé des sommes faramineuses (réf budgets 2010 et 2011) dont un audit sera un jour inévitablement établi et les responsabilités engagées.

La Mauritanie est un pays où la tradition administrative n’existait pas et encore aujourd’hui cette tare continue. Une juxtaposition voire des conflits entre des actes administratifs modernes et des usages traditionnels et religieux persistent encore tant au niveau du cycle de la vie personnelle (naissance, mariage et décès) que celui de la vie civile (engagement, contrat, achat, cession …de biens ou de services).

A titre d’exemple, la naissance d’un enfant dans un hameau reculé n’est recensée nulle part; par contre le baptême religieux est lui objet d’un écrit. Pareil pour le mariage où pour la majorité de la population, seul le formalisme islamique compte. C’est à partir d’exemples pareils, qu’il faudrait penser l’état civil en Mauritanie car non seulement ils sont la première manifestation d’existence du futur citoyen mais encore ils démontrent les contraintes traditionnelles et religieuses préalables à régler.

Pour en revenir au problème de recensement à vocation d’état civil, nonobstant l’exception mondiale de la Mauritanie qui dessaisit les autorités municipales seuls habilités traditionnellement à gérer ce domaine par nature de proximité au profit d’une agence sans vision ni technicité et ni expérience, que cherchent réellement les autorités ?

Il est un fait accepté, que vu le petit nombre de mauritaniens et l’homogénéité des communautés qui la compose, aucun étranger ne peut prétendre à une responsabilité publique (étatique, politique, sociale…) sans être immédiatement identifié. Alors, qui sont ces étrangers qui s’arrogent illégalement des papiers mauritaniens officiels et pourquoi le font-ils ?

Un parcours historique nous donne un éventail de l’identité de ces « étrangers » mauritaniens :

(1) nous avons le groupe des sahraouis à qui les régimes passés donnaient des cartes d’identité nationale pour assurer la victoire de leurs candidats locaux situés dans le nord du pays. Beaucoup conservent encore ces papiers d’identité qui leur permettent de circuler librement dans la sous région. Leur nombre moyen, selon beaucoup d’observateurs avertis, tourne autour de 5000 personnes (2) nous avons aussi les étrangers de passage, à cause de notre position de trait d’union, en majorité venus d’Afrique noire et qui continuent vers l’Europe, leur eldorado.

Les papiers mauritaniens présentaient moins de tracasseries dans le passé pour voyager, aussi, ils ont avec la complicité des réseaux locaux (agents d’état civil, police, élus) maintes fois démantelés officiellement ou souvent étouffés officieusement obtenu des papiers légaux aux yeux de la loi. Ces « étrangers mauritaniens » n’ont aucune incidence ni sur la démographie nationale ni sur la vie économique et sociale du pays.

Une fois, qu’ils ont régularisé leur situation dans leur pays d’accueil, ils se débarrassent des papiers mauritaniens car n’y ayant aucune attache (3) les touaregs au sud du pays à la frontière avec le Mali. Tout comme les sahraouis, on les a utilisé pour faire basculer des votes au profit des candidats de la majorité dirigeante. Leur nombre est peu significatif et ils préfèrent leur nationalité malienne qui leur donne un statut de discrimination positive depuis les accords de paix inter malien (4) les sénégalais.

Ce groupe est spécifique car il est composé de 2 sous groupes : ceux de la vallée du fleuve Sénégal et ceux venant des autres zones du Sénégal. Ceux de la vallée sont répartis entre les Wolofs vers Rosso, les Pulars dans le Fouta et les Soninkés au Guidimakha dans la pointe extrême du fleuve. Ces communautés unis par le sang, par la langue et par la culture se trouvent des 2 cotés du fleuve c'est-à-dire en Mauritanie et au Sénégal. A la question de quel pays êtes-vous originaires ?

Ils seront tentés de dire tout simplement qu’ils sont Pulars ou Wolofs ou Soninkés car c’est la ligne imaginaire tracée par le colonisateur qui les a artificiellement rattachés à l’un ou l’autre pays. Que certains d’entre eux prennent la nationalité mauritanienne ou sénégalaise ou les deux, ils auront toujours le support légal vu les liens inextricables qui les unissent.

Par contre, le groupe venant hors de la vallée a pu acquérir les papiers mauritaniens dans les mêmes conditions que les groupes cités précédemment. Ceux-ci, comme les autres ne pourront occuper aucune position officielle ni avoir un impact sur le plan national.

Enfin, nous avons aussi des « sénégalais » d’origine mauritanienne : ils sont pulars, soninkés, wolofs, haratines ou arabe. Même si le groupe le plus important est composé de pulars et d’arabes. Pour beaucoup, ils sont nés au Sénégal, y ont grandi et y ont passé l’essentiel de leur jeunesse ou leurs études pour ensuite revenir en Mauritanie.

Nombre d’entre eux, surtout de la composante arabe, se retrouvent aujourd’hui parmi nos plus grands hommes d’affaires et parmi les personnalités de premier plan. C’est pareil pour certains de nos grands marabouts du Trarza ou du Brakna. Ils sont originaires de saint Louis, deLouga, de Thiès, de Kaolack ou de Dakar et manient la langue wolof comme une langue maternelle.

Aussi, la question revient invariablement, pourquoi cet entêtement des autorités dans ce recensement à vocation d’état civil malgré les appels de l’ensemble des acteurs nationaux et qui est entrain de faire basculer le pays vers les extrêmes : le refus des autorités d’arrêter le processus et de discuter entraine automatiquement la révolte des communautés se sentant dépossédées de leur identité.

Les nombreuses tracasseries de la majorité des commissions de recensement, les refus de recenser des mauritaniens négro-africains connus, la composition arbitraire et pas représentative de l’ensemble des composantes du pays dans ces commissions locales ainsi que celle de la commission nationale donnent des arguments solides au mouvement « Touche pas à ma nationalité » en pointe de la révolte.

De même, les quelques cas notés de refus de recenser des personnes issues de la communauté arabe démontrent le caractère incongru des procédures de ce recensement. La communauté haratine renferme quant à elle les cas les plus sérieux car nombre d’entre eux se trouvant en milieu rural « n’existent pas » car n’ayant jamais reçu de papiers d’état civil.

Je souligne aussi le cas des mauritaniens nés et installés à l’étranger pour des raisons indépendantes de leur volonté (enfants de diplomates, de commerçants, de marabouts, d’expatriés…) et à qui l’on refuse la possibilité de recensement. Idem pour ceux qui sont revenus au pays.

Face à tous ces cas aussi complexes les uns que les autres, pourquoi ne pas donner le temps au temps et laisser les responsables des communautés de base, les responsables municipaux, les notables locaux faire le travail de terrain sous le contrôle des autorités administratives locales. Une fois cette tâche de base achevée, l’administration va fiabiliser les données obtenues et créer un fichier central regroupant l’ensemble des mauritaniens où qu’ils se trouvent. Oui ! En ce moment, on comprendra qu’il s’agit d’un travail sérieux sans arrière pensées ni politique ni financier. Autrement, toutes sortes d’allégations et de certitudes continueront à circuler telles :

(1) les extrémistes arabes responsables des exactions du passif humanitaire de 1989 chercheraient à achever leur boulot en faisant disparaître toutes les traces car les victimes supposées ne seront plus des mauritaniens après ce recensement

(2) la vallée va être dépeuplée de sa population négro africaine agrippée à son terroir pour laisser place à la réalisation du programme de vente des riches terres agricoles aux capitaux étrangers particulièrement arabes

(3) le recensement serait un voile qui cache en réalité une lutte sans merci entre les tribus arabes du pays pour le contrôle du capital financier traditionnellement détenu par la tribu des smassides qui perdent du terrain depuis la chute de Taya et surtout de l’arrestation pendant quelques semaines de leurs milliardaires

(4) Tous les problèmes qui focalisent actuellement l’attention des mauritaniens tels le recensement, l’esclavage, le dialogue ne seraient en fait qu’un prétexte qui cache un pillage systématique des maigres ressources restantes du pays et dont la disparition après le putsch des comptes publics de 50 millions de dollars d’aide pourtant enregistrés à la banque centrale est une parfaite illustration. Les nombreuses demandes d’explications de politiques et surtout de parlementaires sont restées sans réponse…etc.

Pour écarter toutes ses rumeurs et supputations et surtout pour éviter d’autres bains de sang tel que celui de Maghama, les autorités ont entre leurs mains un joker : l’arrêt de l’enrôlement et sa reprise sur des bases consensuelles. La qualité d’une autorité est de reconnaître ses torts ou à défaut d’anticiper sur des conséquences catastrophiques et déstabilisantes de ses actes. Le pouvoir tout comme l’argent et la connaissance nous est confié par la discrétion du tout puissant, à nous d’en faire un bon Usage. Autrement, il nous est repris sans préavis ni explication.

EHOT





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