La Mauritanie a entamé depuis le 11 février 2010, date d’entrée en vigueur de la loi 2010-023/PM portant abrogation et remplacement de certaines dispositions de son code de la nationalité, un cycle de réformes visant la refondation de son état civil.
Cette refondation maintes fois évoquée par les autorités publiques se traduit par la promulgation:
- le 06 juillet 2010 du décret n° 2010- 150/PM portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés(ANRPTS) ;
- le 12 janvier 2011 de la loi n° 2011-003/PM abrogeant et remplaçant la loi n°96.019 du 19 juin 1996 portant Code de l'Etat Civil;
Cette refondation maintes fois évoquée par les autorités publiques se traduit par la promulgation:
- le 06 juillet 2010 du décret n° 2010- 150/PM portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés(ANRPTS) ;
- le 12 janvier 2011 de la loi n° 2011-003/PM abrogeant et remplaçant la loi n°96.019 du 19 juin 1996 portant Code de l'Etat Civil;
- le 03 mai 2011 du décret n° 2011-110 /PM définissant le cadre juridique de l’enrôlement dans le Registre National des Populations ainsi que le même jour la signature de l’arrêté n° 937/MIDEC portant création, organisation et fonctionnement des instances départementales d’enrôlement.
La mise en place de ce cadre institutionnel et réglementaire a été suivie dès le 5 juin 2011 par le lancement officiel à Nouakchott de la campagne d'enrôlement massif défini comme étant «la procédure administrative visant la création d’un registre national des populations à travers un recensement de tous les citoyens et des étrangers résidents en Mauritanie »
1. Sur l'opportunité de l'enrôlement
L'opportunité d'un énième recensement après celui à vocation d'état civil (RANVEC) réalisé en 1998 à grands frais, laisse cependant sceptique plus d'un citoyen.
Il est pourtant juste d'observer que l'état civil issu du RANVEC n'a pas été un exemple de réussite , tant ses scories sont nombreuses et les erreurs sur les noms et les dates de naissance d'un grotesque innommable. Les données RANVEC auraient peut-être pu être corrigées, le coût et le désordre social générés par l'enrôlement circonscrits.
En définitive, les carences de RANVEC ont servi de justification à l'enrôlement via « les procédures de capture, de collecte et d'enregistrement des données biométriques et biographiques relatives à l'identification de l'individu »[1].
En cela, la Mauritanie n'innove pas: le principe de l'enrôlement ne souffre pas de contestation.
Alors d'où vient la colère des foules, des citoyens, des élus et nombre d'organisations de la société civile mauritanienne?
Il faudrait sans doute chercher du côté des modalités d'enrôlement et des conséquences réelles ou supposées qui nourrissent des craintes profondes.
2. Sur les modalités de l'enrôlement
a/ Récriminations sur l'environnement et le cadre juridique de l'enrôlement
Parmi les voix les plus autorisées et sans doute le témoin de première heure de la gestation de l'agence nationale du registre des populations et des titres sécurisés (ANRPTS), on doit citer M. Ladji TRAORE secrétaire du parti APP qui met en cause, entre autres griefs soulevés, la composition presque mono ethnique des membres de l'agence, la présence en son sein d'éléments des forces de sécurité et la nature opaque de ses travaux préparatoires[2].
En se focalisant sur les éléments factuels vérifiables, il semble que les deux premiers griefs ne sont pas sans fondement:
-Trois des cinq instances de l'Agence (le conseil d'administration, le comité de gestion et le comité technique de pilotage) sont quasi homogènes de par les noms qui les composent si ce n'est de par les fonctions de ses membres de droit[3].
- La présence des forces de sécurité dans le Conseil d'administration ( le chef d'état major national ou son représentant, le chef d'état major de la garde nationale ou son représentant , le chef d'état major de la gendarmerie nationale ou son représentant, le directeur de la sûreté nationale ou son représentant et le directeur du groupement général de la sécurité des routes ou son représentant), dans le Comité de gestion et dans les instances départementales d'enrôlement des populations- IDEP[4]- est aussi vérifiable et est sans doute symptomatique du déroulement biaisé du processus d'enrôlement.
b/ Récriminations sur les opérations proprement dites d'enrôlement
Les opérations d'enrôlement de l'ANRPTS sont décriées par beaucoup de citoyens choqués par les procédés utilisés qui ne semblent pas se limiter aux contrôles sur pièces et documents et à un entretien courtois.
Outre les documents exigés des candidats à l'enrôlement lors de leur présentation devant les centres d'accueil citoyens (CAC)[5], il est constamment rapporté que les instances départementales d'enrôlement des populations se livrent à des « interrogatoires humiliants » des citoyens et récusent des personnes munies de pièces d'état civil et/ou d'identité au motif qu'elles seraient nées à l'étranger, porteraient des noms jugés à consonances étrangères, seraient d'ethnies non reconnues officiellement[6], alors même que certaines figuraient dans la liste des langues citoyennes reconnues par l'ancien code de la nationalité[7]...
Des accusations ouvertes mettent en cause les relents discriminatoires de la campagne d'enrôlement dont l'objectif caché serait de mettre en cause la nationalité de nombres de mauritaniens et en particulier la composante négro-africaine.
C'est le lieu d'examiner, au-delà des actes posés ça et là et des suspicions légitimes ou non, les effets induits de l'enrôlement sur la citoyenneté de tous ceux qui ne seront pas recensés.
3. Sur les effets induits de l'enrôlement
La procédure d'enrôlement se décline en deux étapes, selon le procédé mis en place par l'ANRPTS:
- Une première où le candidat accède à la salle du CAC en présentant « ses papiers au président de l'instance d'enrôlement, puis (répond) aux questions qui peuvent être posées par les membres de cette instance.
Après l'acceptation d'enrôlement du candidat, l'instance lui (donne) un document appelé PV d'enrôlement »
- Une deuxième où le candidat est autorisé à accéder « à la salle d'enrôlement où se fera l'acquisition des empreintes digitales, le portrait et la signature.
A la fin du processus d'enrôlement, le candidat aura un extrait du registre national des populations. Cet extrait porte le numéro national d'identification (NNI) qui apparaitra sur tous les autres documents »
Quid du candidat récusé, sans possession de l'extrait du registre national des populations et donc sans numéro national d'identification?
Le nouveau code d'état civil dans son article 9 in fine est très clair: « Nul ne peut bénéficier d'un acte d'état civil sécurisé, s'il n'est pas enregistré dans le registre national des populations (RNP) ».
Est-ce à dire que les anciens actes d'état civil « non sécurisés » pourraient survivre aux nouveaux actes biométriques?
Ce maigre espoir que pourrait donner une lecture optimiste et déductive de l'article 9 in fine précité s'évanouit à la lecture de l'article 72 in fine du même code qui dispose que: « Il sera mis fin, par décret, à la validité des actes d'état civil délivrés conformément à la loi n°96-019 du 19 juin 1996 portant code de l'état civil ».
A la publication de ce décret, toutes les personnes non inscrites dans le registre national des populations ne disposeront alors plus d'actes d'état civil mauritaniens opposables aux autorités nationales et probablement aux Etats tiers.
Quid alors de la nationalité des personnes non inscrites au RNP?
4. L'enrôlement et la question de la nationalité
Il n'y a a priori pas de rapport direct entre l'enrôlement et la nationalité qui est définie comme étant « le lien juridique qui relie un individu à un Etat déterminé », lien qui peut être lié à la naissance ou à un droit acquis.
Toutefois, au regard du but assigné à l'enrôlement qui consiste à alimenter le Registre National des Populations, on s'interroge à juste titre si le lien n'est pas établi.
En effet, le RNP « intègre les informations relatives à la naissance, au mariage, au divorce et au décès (état civil)ainsi que les empreintes digitales, les données de reconnaissance faciale, la photographie et toutes autres données ou mentions utiles à l'identification d'une personne »[8].
Toutes données ou mentions auxquelles pourraient accéder les administrations avec lesquelles coopère l'ANRPTS[9].
On peut à juste titre en conclure que l'absence d'état civil pour non présence dans le RNP pourrait poser des difficultés si de nouveaux documents attestant de la nationalité mauritanienne devaient être édités sur la seule base des informations fournies par l'ANRPTS.
Ces nouveaux documents intégreraient sans doute la liste des titres sécurisés qui devrait être définie par arrêté du ministre de l'intérieur[10] et la nationalité mauritanienne ne serait alors réservée qu'aux seuls nationaux inscrits sur le registre national des populations. Hypothèse invraisemblable qui ouvrirait la voie à un large contentieux de la nationalité, puisqu'on aura remis en cause la nationalité d'origine de beaucoup de mauritaniens non binationaux et créé une situation d'apatridie, statut totalement réprouvé par le code de la nationalité.
Cette hypothèse est effrayante et elle semble être à la base de la colère de tous ceux qui manifestent derrière le slogan: « TOUCHE PAS A MA NATIONALITE ».
Une autre hypothèse est celle de la dissociation entre l'enrôlement en cours et la question de la nationalité pour retomber dans le contentieux ordinaire de la nationalité tel qu'il résulte du code qui le régit.
Dans ce cas de figure, les règles charnières sont les suivantes
: La nationalité mauritanienne provient de la naissance selon les conditions définies par la loi[11]; son acquisition ou sa perte est le fait de loi ou de l'autorité administrative (art. 1er).
L'acquisition d'une nationalité autre que la nationalité mauritanienne rend caduque cette dernière, à moins d'y avoir été autorisé par décret (art. 31 nouveau du code).
La déchéance de la nationalité mauritanienne peut intervenir jusqu'à vingt ans après son acquisition, en cas de condamnation pour crime ou délit contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat, pour crime ayant entrainé la condamnation à une peine supérieure à 5 ans ou pour collusion avec un Etat étranger contre les intérêts de la Mauritanie (art. 33 nouveau du code)
La réintégration dans la nationalité mauritanienne se fait par décret, après enquête (art. 25 du code).
La réintégration après déchéance pour raisons de condamnation est conditionnée par une réhabilitation judiciaire (art. 28 du code).
La preuve de la nationalité est établie, jusqu'à démonstration contraire, sur production du certificat de nationalité délivré conformément aux dispositions des articles 64 et suivants du code (art.56 in fine du code).
La preuve contraire pourrait éventuellement être rapportée par un bi-national considéré comme ayant perdu sa nationalité par application de l'article 30 du code, si celui-ci produit l'extrait du décret l'autorisant à garder sa nationalité mauritanienne conformément aux dispositions nouvelles de l'article 31 du code.
La charge de la preuve appartient toujours à l'auteur de l'action tendant à revendiquer ou répudier sa nationalité mauritanienne ou à celui qui le met en cause (art. 56 du code).
La tache des autorités publiques tendant à remettre en cause la mauritanité des bi-nationaux sera probablement difficile si ces derniers ne produisent aucun élément pouvant les faire tomber sous le coup des dispositions de l'article 30 précité.
Par ailleurs, devant la règle de la primauté des conventions internationales sur la loi nationale- règle reprise par l'article 6 du code de la nationalité[12]-, le champ du contentieux est susceptible d'être plus ouvert qu'on ne le pense...
Par Me Moktar Touré, des barreaux de Versailles et Nouakchott
La mise en place de ce cadre institutionnel et réglementaire a été suivie dès le 5 juin 2011 par le lancement officiel à Nouakchott de la campagne d'enrôlement massif défini comme étant «la procédure administrative visant la création d’un registre national des populations à travers un recensement de tous les citoyens et des étrangers résidents en Mauritanie »
1. Sur l'opportunité de l'enrôlement
L'opportunité d'un énième recensement après celui à vocation d'état civil (RANVEC) réalisé en 1998 à grands frais, laisse cependant sceptique plus d'un citoyen.
Il est pourtant juste d'observer que l'état civil issu du RANVEC n'a pas été un exemple de réussite , tant ses scories sont nombreuses et les erreurs sur les noms et les dates de naissance d'un grotesque innommable. Les données RANVEC auraient peut-être pu être corrigées, le coût et le désordre social générés par l'enrôlement circonscrits.
En définitive, les carences de RANVEC ont servi de justification à l'enrôlement via « les procédures de capture, de collecte et d'enregistrement des données biométriques et biographiques relatives à l'identification de l'individu »[1].
En cela, la Mauritanie n'innove pas: le principe de l'enrôlement ne souffre pas de contestation.
Alors d'où vient la colère des foules, des citoyens, des élus et nombre d'organisations de la société civile mauritanienne?
Il faudrait sans doute chercher du côté des modalités d'enrôlement et des conséquences réelles ou supposées qui nourrissent des craintes profondes.
2. Sur les modalités de l'enrôlement
a/ Récriminations sur l'environnement et le cadre juridique de l'enrôlement
Parmi les voix les plus autorisées et sans doute le témoin de première heure de la gestation de l'agence nationale du registre des populations et des titres sécurisés (ANRPTS), on doit citer M. Ladji TRAORE secrétaire du parti APP qui met en cause, entre autres griefs soulevés, la composition presque mono ethnique des membres de l'agence, la présence en son sein d'éléments des forces de sécurité et la nature opaque de ses travaux préparatoires[2].
En se focalisant sur les éléments factuels vérifiables, il semble que les deux premiers griefs ne sont pas sans fondement:
-Trois des cinq instances de l'Agence (le conseil d'administration, le comité de gestion et le comité technique de pilotage) sont quasi homogènes de par les noms qui les composent si ce n'est de par les fonctions de ses membres de droit[3].
- La présence des forces de sécurité dans le Conseil d'administration ( le chef d'état major national ou son représentant, le chef d'état major de la garde nationale ou son représentant , le chef d'état major de la gendarmerie nationale ou son représentant, le directeur de la sûreté nationale ou son représentant et le directeur du groupement général de la sécurité des routes ou son représentant), dans le Comité de gestion et dans les instances départementales d'enrôlement des populations- IDEP[4]- est aussi vérifiable et est sans doute symptomatique du déroulement biaisé du processus d'enrôlement.
b/ Récriminations sur les opérations proprement dites d'enrôlement
Les opérations d'enrôlement de l'ANRPTS sont décriées par beaucoup de citoyens choqués par les procédés utilisés qui ne semblent pas se limiter aux contrôles sur pièces et documents et à un entretien courtois.
Outre les documents exigés des candidats à l'enrôlement lors de leur présentation devant les centres d'accueil citoyens (CAC)[5], il est constamment rapporté que les instances départementales d'enrôlement des populations se livrent à des « interrogatoires humiliants » des citoyens et récusent des personnes munies de pièces d'état civil et/ou d'identité au motif qu'elles seraient nées à l'étranger, porteraient des noms jugés à consonances étrangères, seraient d'ethnies non reconnues officiellement[6], alors même que certaines figuraient dans la liste des langues citoyennes reconnues par l'ancien code de la nationalité[7]...
Des accusations ouvertes mettent en cause les relents discriminatoires de la campagne d'enrôlement dont l'objectif caché serait de mettre en cause la nationalité de nombres de mauritaniens et en particulier la composante négro-africaine.
C'est le lieu d'examiner, au-delà des actes posés ça et là et des suspicions légitimes ou non, les effets induits de l'enrôlement sur la citoyenneté de tous ceux qui ne seront pas recensés.
3. Sur les effets induits de l'enrôlement
La procédure d'enrôlement se décline en deux étapes, selon le procédé mis en place par l'ANRPTS:
- Une première où le candidat accède à la salle du CAC en présentant « ses papiers au président de l'instance d'enrôlement, puis (répond) aux questions qui peuvent être posées par les membres de cette instance.
Après l'acceptation d'enrôlement du candidat, l'instance lui (donne) un document appelé PV d'enrôlement »
- Une deuxième où le candidat est autorisé à accéder « à la salle d'enrôlement où se fera l'acquisition des empreintes digitales, le portrait et la signature.
A la fin du processus d'enrôlement, le candidat aura un extrait du registre national des populations. Cet extrait porte le numéro national d'identification (NNI) qui apparaitra sur tous les autres documents »
Quid du candidat récusé, sans possession de l'extrait du registre national des populations et donc sans numéro national d'identification?
Le nouveau code d'état civil dans son article 9 in fine est très clair: « Nul ne peut bénéficier d'un acte d'état civil sécurisé, s'il n'est pas enregistré dans le registre national des populations (RNP) ».
Est-ce à dire que les anciens actes d'état civil « non sécurisés » pourraient survivre aux nouveaux actes biométriques?
Ce maigre espoir que pourrait donner une lecture optimiste et déductive de l'article 9 in fine précité s'évanouit à la lecture de l'article 72 in fine du même code qui dispose que: « Il sera mis fin, par décret, à la validité des actes d'état civil délivrés conformément à la loi n°96-019 du 19 juin 1996 portant code de l'état civil ».
A la publication de ce décret, toutes les personnes non inscrites dans le registre national des populations ne disposeront alors plus d'actes d'état civil mauritaniens opposables aux autorités nationales et probablement aux Etats tiers.
Quid alors de la nationalité des personnes non inscrites au RNP?
4. L'enrôlement et la question de la nationalité
Il n'y a a priori pas de rapport direct entre l'enrôlement et la nationalité qui est définie comme étant « le lien juridique qui relie un individu à un Etat déterminé », lien qui peut être lié à la naissance ou à un droit acquis.
Toutefois, au regard du but assigné à l'enrôlement qui consiste à alimenter le Registre National des Populations, on s'interroge à juste titre si le lien n'est pas établi.
En effet, le RNP « intègre les informations relatives à la naissance, au mariage, au divorce et au décès (état civil)ainsi que les empreintes digitales, les données de reconnaissance faciale, la photographie et toutes autres données ou mentions utiles à l'identification d'une personne »[8].
Toutes données ou mentions auxquelles pourraient accéder les administrations avec lesquelles coopère l'ANRPTS[9].
On peut à juste titre en conclure que l'absence d'état civil pour non présence dans le RNP pourrait poser des difficultés si de nouveaux documents attestant de la nationalité mauritanienne devaient être édités sur la seule base des informations fournies par l'ANRPTS.
Ces nouveaux documents intégreraient sans doute la liste des titres sécurisés qui devrait être définie par arrêté du ministre de l'intérieur[10] et la nationalité mauritanienne ne serait alors réservée qu'aux seuls nationaux inscrits sur le registre national des populations. Hypothèse invraisemblable qui ouvrirait la voie à un large contentieux de la nationalité, puisqu'on aura remis en cause la nationalité d'origine de beaucoup de mauritaniens non binationaux et créé une situation d'apatridie, statut totalement réprouvé par le code de la nationalité.
Cette hypothèse est effrayante et elle semble être à la base de la colère de tous ceux qui manifestent derrière le slogan: « TOUCHE PAS A MA NATIONALITE ».
Une autre hypothèse est celle de la dissociation entre l'enrôlement en cours et la question de la nationalité pour retomber dans le contentieux ordinaire de la nationalité tel qu'il résulte du code qui le régit.
Dans ce cas de figure, les règles charnières sont les suivantes
: La nationalité mauritanienne provient de la naissance selon les conditions définies par la loi[11]; son acquisition ou sa perte est le fait de loi ou de l'autorité administrative (art. 1er).
L'acquisition d'une nationalité autre que la nationalité mauritanienne rend caduque cette dernière, à moins d'y avoir été autorisé par décret (art. 31 nouveau du code).
La déchéance de la nationalité mauritanienne peut intervenir jusqu'à vingt ans après son acquisition, en cas de condamnation pour crime ou délit contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat, pour crime ayant entrainé la condamnation à une peine supérieure à 5 ans ou pour collusion avec un Etat étranger contre les intérêts de la Mauritanie (art. 33 nouveau du code)
La réintégration dans la nationalité mauritanienne se fait par décret, après enquête (art. 25 du code).
La réintégration après déchéance pour raisons de condamnation est conditionnée par une réhabilitation judiciaire (art. 28 du code).
La preuve de la nationalité est établie, jusqu'à démonstration contraire, sur production du certificat de nationalité délivré conformément aux dispositions des articles 64 et suivants du code (art.56 in fine du code).
La preuve contraire pourrait éventuellement être rapportée par un bi-national considéré comme ayant perdu sa nationalité par application de l'article 30 du code, si celui-ci produit l'extrait du décret l'autorisant à garder sa nationalité mauritanienne conformément aux dispositions nouvelles de l'article 31 du code.
La charge de la preuve appartient toujours à l'auteur de l'action tendant à revendiquer ou répudier sa nationalité mauritanienne ou à celui qui le met en cause (art. 56 du code).
La tache des autorités publiques tendant à remettre en cause la mauritanité des bi-nationaux sera probablement difficile si ces derniers ne produisent aucun élément pouvant les faire tomber sous le coup des dispositions de l'article 30 précité.
Par ailleurs, devant la règle de la primauté des conventions internationales sur la loi nationale- règle reprise par l'article 6 du code de la nationalité[12]-, le champ du contentieux est susceptible d'être plus ouvert qu'on ne le pense...
Par Me Moktar Touré, des barreaux de Versailles et Nouakchott
- code-nationalite-mauritanie-nouveau.pdf
- decret-enrolement.pdf
- LoiNationaliteFR.pdf
-------------------------------------------------
[1] Article 2 al. 1 du décret n° 2011-110 /PM définissant le cadre juridique de l’enrôlement dans le Registre National des Populations
Interview de Ladji TRAORE pour Cridem, propos recueillis par Babacar Baye Ndiaye (http://www.cridem.org/C_Info.php?article=58271)
[3] Articles 10 à 16 inclus du décret n° 2010- 150/PM du 10 juillet 2010 portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés (ANRPTS).
[4] Les IDEP qui officient dans les centres d'accueil des citoyens (CAC) pour l'enrôlement se composent elles, outre d'un représentant de l'Agence, d'un représentant de l'administration territoriale et d'un conseiller municipal, des représentants de la police, de la gendarmerie et de la garde (art. 5 de l’arrêté n° 937/MIDEC portant création, organisation et fonctionnement des instances départementales d’enrôlement).
[5] L’acte de naissance issu du recensement 98, avec une copie ou un extrait de naissance de moins d'un an.
Carte nationale d’identité, dont les 7 derniers chiffres sont lisibles, avec une photocopie.
Les nouveaux recensements pour les NNI des parents (si les parents sont déjà enrôlés).
Acte de décès ou un jugement constatant le décès (des parents) pour les personnes âgées de moins de 45 ans.
A cela s’ajoute, toutes autres pièces qui justifient l’identité du candidat, à savoir le passeport, l’ancien acte de naissance, la nationalité, etc.
[6] Lire à cet égard les témoignages édifiants de Me Gourmo LO acteur direct et victime des IDEP et l'article très éloquent de Ahmed Aly JIDDOU
[7] Parmi les conditions de la naturalisation (conditions d'assimilation) figurait à l'art. 19-2 de l'ancienne loi, l'exigence de maitrise courante de l'une des langues suivantes « toucouleur- pulaar-, sarakolé- soninke-, ouolof- wolof-, bambara, hassanya, arabe, français; » l'article 19 nouveau ne retient plus que l'arable, le poular, le soninké et le wolof.
[8] Article 2 al.2 du nouveau code d'état civil.
[9] Articles 4 et 6 du décret portant création de l'ANRPTS.
[10] Article 3 al.2 du décret portant création de l'ANRPTS.
[11] Désormais la nationalité d'origine est régie par le seul article 8 du code qui dispose que:
« Est mauritanien:
1 L’enfant né d’un père mauritanien,
2 L’enfant né d’une mère mauritanienne et d’un pere sans nationalité, ou de nationalité inconnue,
3 L’enfant né en Mauritanie d’une mère mauritanienne et d’un père de nationalité étrangère, sauf la faculté de répudier cette qualité dans l’année qui précède sa majorité, »
[12] Article 6 du code de la nationalité: « Les dispositions relatives à la nationalité contenues dans les traités ou accords internationaux dûment ratifiés et publiés s’appliquent, même si elles sont contraires aux dispositions de la législation interne mauritanienne ».
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