vendredi 26 août 2011

Nous avons vu tomber la citadelle de Kadhafi



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Par Jean-Marc GoninPublié  Réactions (8)
Mardi 23 août. Après avoir défoncé les murailles en béton de l'enceinte, les rebelles se lancent à l'assaut du quartier général de Kadhafi. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)
Mardi 23 août. Après avoir défoncé les murailles en béton de l'enceinte, les rebelles se lancent à l'assaut du quartier général de Kadhafi. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)
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REPORTAGE - En quelques heures, le courage et l'audace de plusieurs milliers de rebelles sont venus à bout de la forteresse du tyran libyen. Nos reporters ont vécu l'assaut à leurs côtés.

«Maleshi bu shafshufa!» (Désolés, l'ébouriffé !) Epuisés et hilares, les combattants sortent de Bab al-Aziziya, la citadelle du dictateur enchâssée dans Tripoli, en se payant la tête de Mouammar Kadhafi. La bataille a duré un peu moins de vingt-quatre heures, mais tout s'est joué dans l'après-midi du 23 août. Journée historique. Le soleil ne s'est pas encore couché que, déjà, les rebelles quittent la place forte de 8 kilomètres carrés pour rompre le jeûne autour d'un copieux repas d'iftar, qui, pour eux, a la saveur de la victoire.
Encerclée depuis la veille par des hommes impressionnants par leur volonté d'en finir avec quarante-deux ans de tyrannie, la citadelle du «Guide» a cédé comme un château fort du Moyen Age. Un bulldozer lancé contre la porte Ouest leur a ouvert la voie. La structure métallique a cédé sous la pression. Derrière l'engin de chantier, des milliers de combattants positionnés le long des palissades depuis deux heures se sont lancés à l'assaut de l'enceinte la mieux protégée de Libye. Appuyés par des tirs de mortier, un feu nourri d'orgues de Staline et de canons antiaériens, les fantassins de la révolution, ces sans-culottes du XXIe siècle, se précipitent dans la brèche. Rafales de kalachnikovs. Sifflement des roquettes. En face, les derniers défenseurs de Mouammar Kadhafi les attendent de pied ferme avec, eux aussi, des katyushas et tout un arsenal d'armes automatiques de gros calibre.

La garde prétorienne du dictateur recule


Venus depuis Misrata durant la nuit, des groupes de rebelles préparent l'attaque de Bab al-Aziziya, la forteresse du satrape libyen. Ils affronteront le dernier carré de fidèles à Kadhafi demeuré dans le lieu. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)
Venus depuis Misrata durant la nuit, des groupes de rebelles préparent l'attaque de Bab al-Aziziya, la forteresse du satrape libyen. Ils affronteront le dernier carré de fidèles à Kadhafi demeuré dans le lieu. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)

«Allahu Akbar!» (Allah est grand !). Les premiers assaillants sont fauchés par la mitraille. Les guerriers en baskets gagnent leur paradis en mourant en shahids, en martyrs. Mais, vague après vague, cette armée hétéroclite et bigarrée parvient à faire reculer la garde prétorienne du dictateur. Celle-ci cède du terrain mètre par mètre. En moins de deux heures, les derniers fidèles du Guide de la révolution libyenne se retrouvent adossés à la porte Est de la citadelle, qu'ils franchissent en courant pour disparaître dans la ville après s'être débarrassés de leur tenue militaire. D'autres sont faits prisonniers. Parmi eux, de nombreux soldats d'Afrique noire, les fameux mercenaires du leader libyen.


Les combattants victorieux se lancent alors à la chasse de Mouammar Kadhafi, parmi maisons et bunkers. En vain. Mercredi soir, il était encore introuvable. Mais chacun revient de la traque avec sa récompense. Un jeune homme coiffé d'un bandana aux couleurs du nouveau drapeau libyen brandit un pistolet plaqué or gravé au nom de Khamis Mouammar Kadhafi, un des fils du tyran placé à la tête de la milice la plus brutale du régime. Fusil mitrailleur à la bretelle, un gaillard barbu vêtu d'une djellaba grise et de savates serre sous son coude un album de photos de mariage appartenant à Aïcha, la fille du Guide. Un jeune homme habillé d'un débardeur blanc démarre, hilare, au volant de la fameuse voiturette de golf que le Guide utilisait. D'autres sortent avec des trophées moins prestigieux mais plus inquiétants pour l'avenir du pays: des armes de guerre. Le puissant arsenal de Bab al-Aziziya a subi un pillage en règle: fusils de précision, kalachnikovs dernier cri, lance-roquettes, armes de poing, munitions, tout a trouvé preneur. Et ces «jouets» n'ont pas fini dans les seules mains des rebelles: des gamins d'à peine 15 ans repartent avec des fusils mitrailleurs et des boîtes de cartouches. En passant, les vainqueurs ont fait un sort à la célèbre tente que le Guide avait dressée dans sa cour d'honneur. Incendiée peu après la fin des combats, elle n'est plus qu'un amas de cendres.

Un bulldozer lancé contre la porte Ouest leur ouvre la voie. Les rebelles, positionnés le long des palissades, entrent à sa suite. Armés de kalachnikovs, ils sont appuyés par des tirs de mortier et de katyushas. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)
Un bulldozer lancé contre la porte Ouest leur ouvre la voie. Les rebelles, positionnés le long des palissades, entrent à sa suite. Armés de kalachnikovs, ils sont appuyés par des tirs de mortier et de katyushas. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)

Les hommes de Kadhafi capturés par les insurgés - une bonne moitié d'entre eux sont originaires d'Afrique noire (Tchad, Niger) - ont été transférés vers l'Institut de formation de techniciens du pétrole. Dans ces locaux sont détenus à la fois les soldats qui ont défendu la forteresse et les dizaines de francs-tireurs qui ont semé la terreur dans les rues du centre-ville pendant quarante-huit heures. Nous en apercevons huit, provisoirement enfermés dans une école primaire avant d'être transférés vers l'institut universitaire. Les rebelles refusent de nous laisser parler aux sept jeunes gens interpellés en civil. En revanche, nous pouvons approcher Oleg Gerasimov, un Ukrainien de 38 ans. Les rebelles affirment l'avoir capturé les armes à la main, mais il prétend être arrivé en juin dernier «pour travailler» à Tripoli. La société qui l'employait n'existait plus, dit-il. Il a donc survécu grâce à des expédients. Ses geôliers ne sont pas convaincus...

Kadhafi reste introuvable après la victoire


Les combats vont durer plus de deux heures avant que les derniers défenseurs de la forteresse ne tombent. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)
Les combats vont durer plus de deux heures avant que les derniers défenseurs de la forteresse ne tombent. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)

La prise de la forteresse de Kadhafi est comme le point d'orgue de la foudroyante bataille de Tripoli. Le symbole de la victoire finale des rebelles contre le tyran. Mardi soir, seule la ville de Syrte, qui vit naître le dictateur en fuite, faisait encore tache sur la carte de la «Libye libre». Alors que la guerre, il y a quinze jours encore, donnait l'impression de s'enliser, les fronts de se figer et l'Otan de perdre patience, cette issue militaire apparaît inespérée. Plusieurs facteurs permettent de l'expliquer. D'abord, en six mois de guerre civile, les rebelles ont acquis de l'expérience militaire. Ensuite, l'intervention de l'Otan, par ses bombardements aériens et l'action discrète des forces spéciales françaises et britanniques aux côtés des insurgés, a considérablement aidé. Enfin, les groupes de combattants venus de Misrata, ville côtière de l'est de Tripoli assiégée pendant des semaines, et des monts Nafusa, une chaîne de montagnes située au sud-ouest du pays, où vit une population essentiellement berbère, ont montré une vaillance et une organisation qui forcent l'admiration.
Rencontré alors qu'il se reposait sous un arbre des durs combats d'approche de la forteresse de Tripoli, Azzedine, 40 ans, un officier rebelle de Misrata qui veut taire son nom de famille, nous explique que l'assaut a été commandé conjointement par deux hommes. D'un côté, par celui qui a dirigé la libération de Misrata. De l'autre, par le leader des rebelles du djebel Nafusa. Avant de devenir un combattant aguerri et écouté de ses hommes, Azzedine avait une entreprise de sanitaires à Misrata. «Aucun de nous n'avait la moindre expérience des armes, dit-il en souriant et en désignant ses camarades allongés à l'ombre autour de lui. Et même si la haine de Kadhafi a fait de nous de vrais guerriers, on ne rêve que d'une chose, c'est de retourner chez nous et de reprendre notre métier.» Quand on lui demande si le commandant de Misrata, lui, ne serait pas un officier qui aurait changé de camp, Azzedine part d'un grand éclat de rire. «Il est un héros pour nous. Mais avant, c'était un petit comptable dans l'administration!»

Acculés à la porte Est, les derniers fidèles du Guide se débarrassent de leurs uniformes, enfilent des tenues de ville et disparaissent dans Tripoli. Certains sont faits prisonniers, dont des mercenaires africains. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)
Acculés à la porte Est, les derniers fidèles du Guide se débarrassent de leurs uniformes, enfilent des tenues de ville et disparaissent dans Tripoli. Certains sont faits prisonniers, dont des mercenaires africains. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)

Les guerriers des monts Nafusa, eux, parlent beaucoup de leurs origines berbères. Installé sur le barrage routier qui contrôle l'accès du quartier riche de Saraj, Abdullah el-Malti, 36 ans, cadre dans un hôpital de Tripoli, raconte les brimades subies par les Berbères libyens. «Kadhafi est un salaud, dit-il. Il a fait interdire notre langue, nos coutumes, et même nos chants. Dans le djebel, tout le monde le déteste.» De fait, nombre de Berbères qui avaient fait leur vie à Tripoli ont quitté la capitale pour aller prendre les armes dans leurs montagnes. La rébellion du djebel Nafusa a infligé défaite sur défaite aux forces loyalistes. Et, au bout du compte, l'énergie et la rancœur de ces populations (le double trident, insigne berbère, figure sur tous leurs véhicules «militaires») ont beaucoup contribué à la fin du régime.

Des armes fournies clandestinement par la coalition

Restent les questions sur l'encadrement du soulèvement de Tripoli. Des soldats de l'Otan ont-ils secrètement participé à l'assaut final? Rien ne l'indique pour l'instant, mais la question mérite un approfondissement. Il est clair en tout cas que les rebelles, cette fois, ont précisément coordonné leurs mouvements avec les bombardements aériens de l'Otan, comme des régiments d'infanterie avancent en fonction des attaques aériennes sur un objectif. Les combattants, y compris la résistance clandestine dans Tripoli, expliquent pour la plupart avoir reçu un coup de fil ou un SMS leur demandant de se tenir prêts pour l'heure H. Enfin, la qualité de l'armement et des équipements de beaucoup de rebelles démontre à ceux qui en doutaient encore que les pays coalisés pour faire tomber Kadhafi n'ont pas lésiné sur la fourniture clandestine de matériel.

La prise de la forteresse de Kadhafi constitue le point d'orgue de la foudroyante bataille de Tripoli. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)
La prise de la forteresse de Kadhafi constitue le point d'orgue de la foudroyante bataille de Tripoli. (Éric Bouvet/VII Nrtwork)

Le scénario de la chute de Tripoli va également avoir une conséquence politique notable. Beaucoup craignaient que cette révolution partie de Benghazi, chef-lieu de la Cyrénaïque et ancienne capitale du royaume, ne se fasse aux dépens de la Tripolitaine, qu'elle ne déséquilibre le pays au point de lui faire courir le risque d'une division. Le fait que la capitale ait été libérée essentiellement par des rebelles de Tripolitaine et des montagnes de l'Ouest va rehausser le prestige de la partie occidentale de la Libye. La réaction spontanée que les habitants de Tripoli, que l'on soupçonnait de soutenir Kadhafi contre les révolutionnaires, ont réservée aux assaillants laisse penser que la capitale vivait en fait dans la peur du tyran bunkerisé dans sa citadelle du centre-ville. S'ils avaient eu l'intention de défendre le régime, la bataille pour le contrôle de Tripoli n'aurait pas été réglée en deux jours... La fin du ramadan 2011 est déjà entrée dans l'histoire. Les Libyens fêteront l'Aïd el-Fitr sous le signe d'un bienfait qu'ils n'avaient plus connu depuis quarante-deux ans: la liberté.

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