mercredi 11 avril 2012

La SMH au temps de Mohamed Ould Bahiya épinglée par l’IGE: Gabegie mode d’emploi


La SMH au temps de Mohamed Ould Bahiya épinglée par l’IGE: Gabegie mode d’emploi
image manquanteLE CALAME: Après sa prestation, remarquée, à la tête de la SOMELEC, on s’est vite douté que la gestion de la Société Mauritanienne des Hydrocarbures (SMH) ne serait pas pas des plus exemplaires, sous la férule de Mohamed Ould Bahiya, en dépit de la rectification deux mille huitarde du pétillant électricien. Les ordres de missions de l’Inspection Générale de l’Etat (IGE), moins de deux ans après la nomination de celui-ci, ne furent donc pas une surprise et l’on attendait, depuis, leur rapport. Quoique le dernier de ceux-ci ait été rendu en mars 2011 – plus d’un an, maintenant… – sa publication restait, disons, très confidentielle, a contrario d’autres, célèbres – parfois très controversés – qui ont valu et valent encore, parfois, de notables séjours à certains dans les geôles aziziennes ; sinon des redressements financiers spectaculaires. Dame, il y a quelque privilège à figurer au conseil national de l’UPR… Mais – Dieu est Compatissant avec les journalistes d’investigation ! – nous avons pu nous procurer la majeure partie de ce rapport. Il est édifiant. Notamment pour l’instruction de tout apprenti gabegiste qui, nous dit-on, sommeillerait en chaque mauritanien. C’est, donc, à l’intention première de ce potentiellement vaste public – mais aussi, soyons équitables, pour ceux qui entendent en réduire le nombre, Ould Abdel Aziz en tête – que Le Calame publie, aujourd’hui, de larges extraits de ce document. Nul doute que les uns et les autres en feront le meilleur usage…

C’est quoi la SMH ?
Après la découverte en 2001, par Woodside, du champ off-shore, à quelques encablures du Banc d’Arguin et baptisé « Chinguetti », l’Etat mauritanien fonde, par décret n°039-2004 du 19 avril 2004, le Groupe Projet Chinguetti (GPC) pour la prise de participation de l’Etat et la formation des ressources humaines dans le secteur. L’été suivant, c’est le recrutement et le début de formations académiques, accélérées, de dizaines d’ingénieurs et cadres. En novembre de la même année, le gouvernement lève l’option de participation dans Chinguetti (12%) et signe un accord de financement de celle-ci, avec la compagnie anglo-saxonne Sterling Energy PLC, une joint-venture réunissant KNOC, Addax et Exxon-Mobil. Le 7 Novembre 2005, la Société Mauritanienne des Hydrocarbures (SMH) est fondée, en vertu du décret n° 2005-106, sous forme d’un Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC), doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, qui hérite des droits et obligations du GPC. Après la nomination, en Septembre 2008, de Mohamed Ould Bahiya à sa tête, la SMH devient, le 3 Mai 2009, une société nationale, par décret N° 168-2009, avec les missions suivantes : exploration, développement, production, transformation, stockage, transport et commercialisation des hydrocarbures, services pétroliers et revue critique de tout plan de développement et d’évaluation des découvertes, ainsi que le conseil de l’Etat dans le domaine de l’industrie pétrolière. A ce titre, elle assure :
• La représentation de l’Etat et la gestion des intérêts nationaux dans le secteur pétrolier, suivant les clauses des Contrats de Partage Pétroliers (CPP) ;
• L’intervention, pour le compte de l’Etat ou pour son propre compte, dans les opérations d’exploration, de production, de transformation, de stockage, de transport, de mise en valeur et de commercialisation des hydrocarbures ;
• L’intervention dans le domaine des services pétroliers, afin d’en faire profiter au maximum l’économie nationale ;
• La formation des cadres, dans les différentes branches de l’industrie pétrolière ;
• La revue critique des plans de développement et d’évaluation soumis par les opérateurs ;
• Le conseil de l’Etat dans le domaine pétrolier

Le rapport de l’IGE
Au niveau de la gestion courante de la SMH, il a été observé l’existence d’anomalies dans le déroulement de la procédure et l’exécution de la dépense qui concernent, notamment :
• La prise en charge injustifiée d’un montant total de 31.860.461 UM relatif à l’attribution permanente d’une rémunération mensuelle de 28 stagiaires, assimilé à un recrutement déguisé et ne respectant aucun critère d’équité et de transparence suscitant une charge salariale supplémentaire à la société ;
• L’existence d’un dépassement au niveau de certaines rubriques budgétaires d’un montant de 152.684.754 UM – soit 10% du budget – dont essentiellement :
- 35 569 187 UM comme augmentation du coût d’exploitation de Chinguetti (OPEX de la SMH) par rapport aux prévisions ;
- 38 092 082 UM de charges non prévues et liées aux prestations pétrolières dans lesquelles la SMH ne s’est engagée qu’au second semestre de l’année 2009, après modification de ses statuts ;
- 34.830.884 UM représentant les droits des congés du personnel de la SMH pour l’année 2009 et qui n’a pas été budgétisé ;
• Une mauvaise imputation de dépenses qui se chiffre à 33.259.115 UM • L’existence des dépenses injustifiées d’un montant total de 3.421.960 UM. Sur demande de la mission, ce montant a été restitué au Trésor public ;
• La gestion non rationnelle du carburant ;
• La gestion du consommable a été caractérisée par l’absence d’un suivi permettant la traçabilité de la consommation réelle ;
• L’absence d’une codification des immobilisations ;
• La procédure d’achat appliquée n’assure pas l’égalité à l’accès aux commandes publiques, ce qui ne garantit pas le meilleur rapport qualité/prix.
De fait, on ne peut que recommander, à tout apprenti gabegiste, l’examen attentif des détails de ces « anomalies » - un euphémisme qui voile, pudiquement, une normalité tout-à-fait banale, au pays de la gazra universelle : procédures d’achats sans réelle transparence ; absence d’une véritable concurrence : on a constaté, par exemple, l’existence de liens directs entre certains concurrents (même numéro de téléphone, même registre de commerce...) ; contrat de bail (nouveau siège) effectué de gré à gré ; exagération des frais d’entretien et de maintenance ; paiement de frais de mission inexistants ; prestations de restauration démesurément élevées ; rémunérations d’intermédiaires inactifs et honoraires sans objet ; primes de gratification indues ; procédures opaques de recrutement ; locations de voitures, à la demande du ministère du Pétrole pour des élections, missions « diverses » et autre investiture du Président ; etc. : la liste n’est pas, ici, exhaustive, alors que les auditeurs se sont, eux, manifestement efforcés à traquer la moindre distorsion.
Un bémol, tout de même, dans la louange à ces inspecteurs. Les subventions et dons attribués, durant la période examinée, se chiffrent à 5.643.600 UM, soit moins de 0,004 % du budget, une misère, tout de même, au vu des besoins réels, notamment d’une société civile condamnée, ordinairement, à rechercher des appuis étrangers pour financer ses activités auprès du peuple mauritanien. L’examen de cette rubrique où les auditeurs se sont inquiétés, par exemple, de 389.800 UM attribuées à « diverses personnes dont l’indigence n’est pas prouvée », se conclut par la recommandation suivante, en caractères gras : « l’allocation budgétaire destinée à cette rubrique doit être diminuée au maximum ». Sans présumer de la réalité – très probable, sinon prochainement démontrée – des détournements et autres passe-droits imputables à cette infime fraction du budget, on eût vraiment aimé une autre recommandation, élevant, au contraire et notablement, son montant, tout en exigeant une plus rigoureuse et objective justification de son emploi.

Aspects liés au contrat de partage de production d’hydrocarbures
Cela dit, la mission ne s’est pas contentée d’examiner les « anomalies » budgétaires. Elle a, également, mis en exergue des manquements graves concernant les aspects relatifs à la production pétrolière. En voici les principaux :
• L’existence d’un manque à gagner important (1.000.000 USD par an), dont le cumul est de 5.000.000 USD, soit 1.400.000.000 UM, pour les cinq premières années de production, destinée à financer des études environnementales et autres activités visant à améliorer la maîtrise des risques environnementaux liés à l’exploitation du champ de Chinguetti – cf. art. 6.4.2 du Contrat de Partage Pétrolier (CPP) ; ce manque à gagner découle des divergences, injustifiées, d’interprétation des textes régissant l’environnement entre le Ministère chargé du Pétrole et celui de l’Environnement.
• Le système actuel de mesurage de la production pétrolière, avec l’absence des compteurs export, ne permet pas de garantir la fiabilité des quantités déclarées ;
• Les attestations d’assurances relatives aux opérations pétrolières n’ont pas été fournies par le contractant au Ministère de l’Energie et du Pétrole ;
• L’opérateur Pétronas n’a pas encore mobilisé, au compte séquestre prévu par l’article 6.4.4 du CPP, les fonds garantissant la couverture des coûts d’abandon et de remise en état du champ de Chinguetti. Ce compte devrait être constitué trois ans avant la date d’abandon, prévue pour 2013. Au regard du comportement non-maîtrisé du champ de Chinguitti – admirable langue de bois pour traduire de très inquiétants manquements – la non-provision, à temps, desdits fonds, dont le suivi est du ressort du Ministère chargé du Pétrole, constitue, selon l’estimation des auditeurs, un risque, énorme, pour notre pays.
• Les frais d’abandon pourraient se situer entre 200 et 300 millions de dollars, au total ; la SMH devant en assumer entre six et neuf millions (de 1,7 à 2,6 milliards d’ouguiyas). Les appels de fonds « cash call » liés à ces frais risquent de mettre la SMH dans une situation difficile de trésorerie, malgré que le coût desdits cash call soit recouvré directement, par la SMH, sur les cargaisons du brut de Chinguitti, tel que prévue par le contrat de financement avec Sterling.
• En dépit de l’âge de la plateforme « FPSO Berge Hélène » – plus de trente ans – il a été constaté une négligence, dans le suivi de la transmission régulière des rapports certifiant la conformité des installations de ladite plateforme aux normes internationales.
• Les montants dus par la SMH, au titre du Contrat de Partage relatif aux blocs Ta 1, 30, 31et 35, passé avec le groupement SIPEX/SMH, ne sont pas encore payés par cette dernière. Le cumul de ces montants, sans les redevances superficiaires annuelles, est de 400.000 USD, soit 112.000.000 UM.
• La SMH et l’opérateur Pétronas (1) n’ont pas encore statué sur les réserves émises par les missions d’audit des bureaux internationaux quant aux coûts pétroliers de la découverte Chinguetti qui ont mis en évidence des réserves dont le cumul est de 294.594.572 USD (la quote-part de la SMH est de 36.431.347 USD, soit 12%).
L’ampleur des chiffres donne le vertige. Si les « anomalies » budgétaires relèvent de la centaine de millions d’ouguiyas, c’est en milliards que se cumulent les manques à gagner, dettes impayées et autres engagements négligés. Avec, en filigrane, un risque écologique majeur : l’abandon de l’exploitation, en 2013, s’annonce comme celui des installations dont le démantèlement, tout porte à le craindre, sera bâclé, synonyme, tôt ou tard, d’une pollution majeure, dramatique pour notre écosystème marin et les milliers de gens qui en vivent. Lourde responsabilité. Outre cette vive inquiétude, non seulement l’amertume est grande, en ces temps de vaches squelettiques, au regard du « déficit de survie » de centaines de milliers de Mauritaniens – un « manque à vivre » qu’à défaut d’être jamais chiffré par quelque auditeur en ce bas-monde, le Divin Juge ne manquera, probablement pas, de débiter du compte des moufcidines – mais elle se double d’une sourde colère, au rappel des slogans, matraqués par le pouvoir, de lutte contre la gabegie. C’est très poliment mais sans tambour ni trompettes, il est vrai, qu’Ould Abel Aziz a remercié Mohamed Ould Bahiya, après avoir lu le rapport de l’IGE, en le nommant directeur général de l’AMEXTIPE. Y coulera-t-il des jours heureux ? Les apprentis gabegistes s’interrogent. On les comprend : la colère pourrait très vite s’avérer audible, ruinant leurs espérances…

Ben Abdalla


NOTE :

(1) : Petronas, acronyme de Petroliam Nasional Berhad, est une entreprise malaisienne fondée le 17 août 1974, dans le cadre de la Loi de 1965 sur les Sociétés. La société est toujours détenue par le gouvernement malaisien. Au fil des années, la société est devenue une multinationale possédant quatre filiales listées à Bursa Malaysia, et développant ses activités dans plus de trente pays. La société emploie 33 682 personnes à travers le monde. Actuellement 40 % du chiffre d'affaires de Petronas est le fait de ses implantations à l'étranger, comme l'Iran, le Soudan, le Tchad et la Mauritanie. Petronas a produit, en 2008, l'équivalent de 6,24 billions de barils. Pour mémoire, on rappellera la lettre n° 1809 du 19 septembre 2007 que l'IGE adressa au Président de la Commission Centrale des Marchés afin d’obtenir des clarifications au sujet de l'approbation d'un marché de gré à gré avec ladite société, relatif à l'élaboration d'une vision stratégique pour la SMH. Petronas venait de racheter les parts de Woodside, dans le cadre des contrats de partage de production d'hydrocarbures, conclus avec l'Etat mauritanien… 

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