mardi 10 avril 2012

Boydiel Ould Houmeid, Président du parti El Wiam dans une interview exclusive:


Boydiel Ould Houmeid, Président du parti El Wiam dans une interview exclusive:
image manquante‘’La COD a qualifié le dialogue de théâtre, alors que vous savez bien que ceux qui y ont pris part sont pas des comédiens et quand le résultat d’un travail qui a duré 32 jours, sans discontinuer, est taxé de théâtre, rien n’est plus grave’’

Le Calame : Depuis quelques temps, l’opposition multiplie les manifestions, elle demande même le départ du président Mohamed Ould Abdel Aziz. Que vous inspire cette escalade ? Cette escalade jusque là verbale, dans une région très troublée ne risque-t-elle pas de plonger le pays dans le désordre ?

Boydiel Ould Houmeid: 
Comme vous le savez autant que moi, l’opposition a été, à un certain moment, sous le règne du FNDD, beaucoup plus virulente qu’aujourd’hui. En ce moment-là, elle avait beaucoup plus de légitimité sur le plan national et international ; elle organisait des manifestations autorisées et d’autres non autorisées. Pourquoi plus de légitimité ? Parce qu’elle luttait contre un régime issu d’un coup d’Etat. Le mouvement s’est estompé suite à l’accord de Dakar et l’élection de M. Mohamed Ould Abdel Aziz comme Président de la République, dont nous avons été parmi les derniers à le reconnaître. Quand la quasi-totalité de l’opposition l’a reconnu, nous avons demandé un dialogue au sein de la COD et nous avons élaboré une plateforme qui a été acceptée par le pouvoir. Par la suite, certains partis de l’opposition ont estimé qu’il y avait des préalables qui devaient être satisfaits avant tout dialogue, ce qui n’était pas le point de vue de certains dont EL WIAM. Tant que c’est verbal (« Elsane bi elsane ou leid mekrouve ») (proverbe du Hassaniya qui veut dire qu’on peut en rester au niveau des paroles sans venir aux mains, NDLR), il n’y a pas de problème, cela relève du jeu démocratique. Dès lors que l’on veut résoudre les problèmes autrement que par la parole, c’est-à-dire par la violence, ça je ne le souhaite pas pour le pays, car la violence engendre toujours le désordre. Mais je suis confiant, sachant que le peuple mauritanien, comme je l’ai toujours dit, est un peuple sage et intelligent qui arrivera toujours à résoudre ses problèmes par le dialogue.

Comment avez-vous trouvé la teneur du discours du président Aziz à Nouadhibou ? Ne pensez-vous pas qu’il aurait dû se mettre au dessus de la mêlée et ne pas répondre au coup par coup ?
Je ne peux prétendre disséquer le discours d’un Président de la République et faire ressortir ses forces et ses faiblesses. Autant je suis d’accord avec lui quand il fait le bilan de son mandat pour la Mauritanie et pour Dakhlet Nouadhibou, (on peut être d’accord avec lui ou pas d’accord), autant je peux dire, comme vous, qu’il ne devait pas répondre au coup par coup à la COD. Je n’ai pas attendu cette interview pour le dire, je le lui ai dit directement lors de ma dernière audience avec lui.

Lors d’une récente visite à l’hôpital mère et enfant, le président de la République a jugé nécessaire voire indispensable, la poursuite du dialogue politique avec l’ensemble des acteurs politiques du pays. N’est-ce pas là un aveu d’échec du dialogue que vous avez mené avec lui donc une main tendue à la COD ? Comment avez-vous réagi à cette sortie présidentielle ?
En fait, le meeting et la conférence de presse de Nouadhibou sont plus récents que la visite dont vous parlez et là il a clairement dit que le dialogue politique est terminé et je crois que dans ces manifestations, il a bien indiqué que le dialogue a été une réussite en rendant hommage aux partis de l’opposition qui y ont participé. Je pense qu’à Nouadhiibou, Ould Abdel Aziz a explicité ce qu’il voulait dire à l’hôpital Mère et enfant. Quant à ma compréhension de ce qu’il a dit à l’hôpital Mère et enfant, c’est que le dialogue politique entre la majorité et l’opposition devait se poursuivre à travers la mise en application des résultats conclus d’un commun accord. Il reste maintenant le dialogue entre le Président de la République, les partis politiques, les syndicats, la société civile et le peuple d’une manière générale : ce dialogue-là doit être permanent et quotidien, à la seule condition que ceux qui veulent y participer commencent par reconnaître leur interlocuteur, c’est-à-dire le Président de la République.

Le parti Hammam s’est retiré du dialogue, ADIL, RD et RPM ont émis des réserves sur sa mise en œuvre estimant même que des élections sans la COD seraient sans effet. Que pensez-vous de leur position ? Serez-vous prêts à aller aux élections sans le reste de l’opposition ?
Le parti Hamam a avancé les raisons qui l’ont amené à quitter le groupe de partis ayant participé au dialogue. Elles sont de deux ordres : premièrement, il trouve que les conclusions du dialogue n’ont pas été mises à exécution, que le comité de suivi ne s’est pas réuni et que le Conseil constitutionnel est en train de charcuter nos travaux. Je dois dire que presque toutes nos conclusions (98%) ont été traduites en textes (lois organiques), approuvés par le gouvernement et adoptés par les deux chambres du Parlement ; il reste l’avis du Conseil constitutionnel et leur promulgation par le Président de la République. Le comité de suivi a été créé et il est présidé par le ministre d’Etat à l’Education et moi-même, nous avons continué à coordonner ce travail avec les juristes et nous sommes d’accord sur tout ce qui a été présenté au gouvernement et au parlement ; et chaque fois qu’il y a eu des erreurs ou des omissions, nous nous sommes retrouvés avec le Premier ministre pour apporter les corrections nécessaires. Le Conseil constitutionnel, il est vrai, a donné des avis sur lesquels nous ne sommes pas d’accord, mais dans toutes les démocraties du monde, le CC a un avis à donner en rapport avec la constitution et les lois organiques. Voyez par exemple en France, récemment le CC a rejeté le projet de loi sur le « génocide arménien » obligeant le gouvernement et le parlement à réviser leur copie. Ce qui nous importe, c’est qu’avec l’autre partie, nous sommes d’accord sur le fait que rien ne soit en contradiction avec l’esprit de l’accord.
Deuxième raison avancée par le parti Hamam, c’est que la situation actuelle exige une gestion commune de l’Etat par un gouvernement d’union nationale. En réalité, nous, partis de l’opposition ayant participé au dialogue, nous n’avons jamais discuté de cette question et elle n’est pas à l’ordre du jour. Ce dont nous avons discuté avec le pouvoir, c’est la feuille de route qui est à la disposition de tout le monde, ainsi que l’accord qui en a découlé. Pour nous, il n’a jamais été question de faire partie d’une majorité ou participer à un gouvernement d’union nationale ou de coalition nationale. Ce qui compte pour nous, c’est la traduction dans les faits des conclusions du dialogue. Pour le reste, nous sommes prêts à aller aux élections le plus rapidement possible et l’on verra le poids et la valeur de notre parti au sein du peuple mauritanien et, en ce moment-là, nous verrons avec nos électeurs ce qu’ils veulent.
Quant aux partis cités, ils ont tous participé au dialogue et à ses conclusions. Maintenant, quand on s’engage dans un dialogue, on ne peut pas prétendre avoir tout ce que l’on demande. Je pense que le meilleur baromètre d’une élection n’est pas le nombre ou le poids des partis politiques qui y prennent part, mais plutôt le taux de participation du peuple mauritanien au vote. Quant à la participation ou non du parti EL WIAM, si tout ce que nous avons convenu dans le cadre du dialogue est appliqué, nous serons les premiers à participer et je puis vous assurer que nous ne regarderons pas derrière nous pour voir ceux qui y participeront ou non. A ce sujet, je vous rappelle que nous sommes le seul parti de la COD à avoir décidé de prendre part aux dernières élections sénatoriales partielles, bien que tous les autres partis de la COD les aient boycottées. Certains m’ont dit que c’était inutile, parce que les conseillers municipaux vont être corrompus, j’ai répondu que c’est justement ça qui motivait notre participation dans une sorte de défi. Ainsi, lorsque le parti au pouvoir a commencé à acheter les conseillers, je l’ai dénoncé au cours d’une conférence de presse. Quant il a nié les faits en persistant dans cette pratique, nous avons enregistré et diffusé une conversation avec une conseillère que le candidat du pouvoir et son directeur de campagne tentaient de corrompre. Cette conversation, tout le monde l’a entendu et pourtant aucun des partis de la COD dont nous étions membre ne s’est solidarisé avec nous pour dénoncer cette pratique. C’est pourquoi, aujourd’hui, dans les textes en cours d’élaboration, ce genre de pratique sera sanctionné par des peines allant de l’amende pécuniaire à la contrainte par corps.

Ne pensez-vous pas comme les trois partis de la majorité précités que les résultats du dialogue sont perfectibles ?
Ma conviction personnelle, indépendamment de ce que pensent ces trois partis, est que toute œuvre humaine est perfectible à l’infini. Seule l’œuvre d’Allah est parfaite. Cependant, la vie des peuples et des nations évolue par des expériences, c’est-à-dire des entreprises, et à chaque fois qu’on entame une entreprise, il faut la terminer pour voir ensuite, par rapport à la pratique ce qu’il y a à corriger ou compléter éventuellement.

Depuis que vous avez décidé de dialoguer avec le pouvoir, vous n’êtes pas tendre avec vos anciens amis du reste de l’opposition. Vous la qualifiez même de non démocratique. Est-ce à dire que les ponts sont définitivement coupés avec cette opposition ?
Je ne dirai jamais que les ponts sont coupés, car si notre volonté et notre choix à tous sont de s’opposer au régime en place à travers une opposition véritablement responsable qui cherche le changement par l’alternance démocratique, une opposition convaincue que le seul changement qui vaille est celui des urnes, nous nous retrouverons ; si par contre ils croient au changement par la force, d’où qu’elle vienne, ce n’est pas notre conviction et on ne s’entendra pas. Par ailleurs, vous savez que lorsqu’on est parti au dialogue, EL WIAM et le parti Hamam n’ont jamais dit qu’ils quittaient la COD, nous avons même été représentés à une ou deux réunions. C’est la COD qui a décidé de se réunir sans nous. Je dois dire que cela ne nous empêchera pas d’être un parti d’opposition, car notre appartenance à l’opposition est une décision de notre congrès, il y a maintenant près de deux ans, à l’époque notre résolution politique, lue devant la plupart des leaders de la COD disait clairement que nous sommes un parti d’opposition responsable, j’insiste sur ce terme, parce que beaucoup veulent croire que l’usage de ce terme « responsable » relève d’une terminologie liée au dialogue. Nous nous sommes positionnés dès le départ comme une opposition responsable. Ensuite, il est important de souligner que personne n’est habilité à délivrer des attestations pour la qualité d’opposant, et en tout cas, EL WIAM ne s’oppose ni pour un parti, ni pour un individu, je peux m’opposer avec des partis ou des individus si à un moment donné nous avons les mêmes objectifs et nous décidons de nous mettre ensemble pour atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé.
Je veux que vous soyez neutre dans votre appréciation. Qu’est-ce qu’ils n’ont pas dit sur notre compte ? Certains d’entre eux ont qualifié le dialogue de théâtre, alors que vous savez bien que ceux qui y ont pris part ne sont pas des comédiens et quand le résultat d’un travail qui a duré 32 jours, sans discontinuer, est taxé de théâtre, rien n’est plus grave. Ensuite, dans le document, ils ont traité le dialogue d’irresponsable. Moi, je n’ai pas lancé un qualificatif de cette nature contre la COD ; j’ai tout simplement dit qu’il y a deux manières d’accéder au pouvoir, soit par les urnes et c’est l’alternance démocratique pour laquelle nous avons opté, soit par la force (violence et appel au coup d’Etat) et c’est anti-démocratique. Pour ce dernier choix, il n’est pas besoin de créer un parti politique légalement constitué, mais plutôt créer un front armé ou faire appel à des militaires et ce choix est anti-démocratique.

Selon les amendements constitutionnels, seule la CENI organise, en amont et en aval les élections. A quoi sert la direction d’appui aux élections du ministère de l’Intérieur ?
Là au moins, vous reconnaissez que la CENI a des attributions qu’elle n’avait pas, ce que nie le document publié par la COD où il est dit que la CENI, dans sa nouvelle forme, n’a rien apporté de nouveau. Maintenant pour répondre à votre question, je dois vous dire que cette direction n’est pas une proposition de la majorité, mais de l’opposition. Nous l’avons demandé pour que la CENI ait un seul interlocuteur au niveau du ministère de l’Intérieur qui s’occupe des questions relatives aux élections.

L’autre obstacle sur le chemin des élections, c’est l’état-civil. Pensez-vous être dans les délais, vu les lenteurs de l’enrôlement ? Ne craignez-vous que «l’illégitimité » des institutions parlementaires et municipales que l’opposition et certains juristes invoquent ne soit fondée?
Vous savez, je ne parle que de ce que je connais. J’ai eu à visiter cette institution et j’ai pu constater qu’elle a les moyens matériels et humains de traiter toute la population en un temps record ; ce qui manque, c’est la sensibilisation et le transport des populations à faible revenu, et il faut surtout éviter les pannes quotidiennes d’ordinateurs et essayer de décentraliser dans certaines communes. Le rythme d’enrôlement actuel n’est pas mauvais, surtout qu’il peut être beaucoup amélioré. Vous savez, au moment des évènements de Kaédi, nous étions à peine à 100 000 enrôlés, aujourd’hui, nous sommes à 700 000. Comment parler « d’illégitimité », quand l’objectif recherché va dans l’intérêt du peuple mauritanien. Vous pouvez parler d’illégalité parce qu’il s’agit de respect de textes, mais là encore on ne doit pas parler d’illégalité, car il y a eu des jurisprudences dans ce domaine, aussi bien sur le plan national où le mandat de l’Assemblée nationale a été prorogé en 1967, qu’international où des prorogations ont eu lieu par des lois organiques. Nous, nous l’avons fait pas un amendement de la Constitution qui proroge le mandat des assemblées et des Conseils municipaux.

Les risques de partition du Mali sont aujourd’hui fort probables, ce qui ne manquera pas de peser de graves menaces sur notre pays. Partagez-vous l’avis de ceux disent qui disent que le coup d’Etat au Mali est une conséquence des incursions de notre armée sur ce territoire ?
Je ne suis pas de votre avis, le Mali ne sera pas divisé en deux. Je ne sais pas combien de temps cette séparation va durer, mais par la volonté du peuple malien, la volonté de la CEDEAO, de l’Afrique et du monde entier, le Mali finira par s’unir, parce que c’est le même peuple.
S’agissant de l’autre volet de votre question, j’ai toujours été pour le droit de poursuite d’individus qui frappent en Mauritanie pour ensuite aller se réfugier au Mali, mais je suis contre les incursions de notre armée pour soi-disant prévenir, car le meilleur moyen de prévenir, c’est de rester vigilant chez soi, et je ne dirai jamais que le coup d’Etat au Mali est une conséquence des incursions de l’armée mauritanienne, mais plutôt le résultat de la gestion des questions sécuritaires par le gouvernement malien, et surtout de la gestion par l’Occident du conflit libyen et particulièrement le président français Nicolas Sarkozy dont l’objectif apparemment était d’éliminer Kadhafi sans se soucier du reste. Cette prolifération d’armes de toutes catégories est la conséquence de l’élimination du régime de Kadhafi sans se préoccuper du sort des armes dont il disposait, ni de ceux qui les détiennent. Si les Touaregs et Al Qaida n’étaient pas surarmés, ils n’auraient pas pris le dessus sur les militaires maliens, et si ceux-là n’étaient pas vaincus, ils ne se seraient pas retournés contre le régime ; donc il faut éviter, comme dit un dicton, de « courir derrière le projectile et laisser celui qui l’a lancé » (Issou ezzerga wikhalli Ezzerag ».

Votre parti recrute beaucoup depuis sa création. Qu’est-ce qui explique cette ruée vers El Wiam ? Certains vous considèrent cependant comme le refuge des caciques du régime de Ould Taya. Comment se passe le recyclage ?
En tant que grand journal de la place, je préfère que vous parliez d’adhésion et non de recrutement, parce que le recrutement c’est pour les militaires ; ensuite, comme je l’ai dit une fois à un journaliste qui me posait la même question, ce n’est pas la ruée vers l’or, c’est la ruée vers un idéal, vers un parti qui croit à la démocratie, à l’alternance démocratique, un parti qui s’oppose aux programmes et non aux individus. Ceux qui nous taxent de refuge des caciques du régime de Ould Taya n’ont qu’à regarder autour d’eux qui n’est cacique pas d’un régime. Vous savez en Mauritanie, il y a eu plusieurs changements de régime, mais il y a eu deux qui ont duré, chacun environ vingt ans : celui de feu Mokhtar Ould Daddah et celui de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. Beaucoup de cadres ont travaillé pour eux, certains s’en sont démarqués, d’autres ne l’ont pas fait. Nous faisons partie de ceux qui ont, pour la plupart, travaillé avec Maaouya, d’autres ont travaillé avec Sidi Ould Cheikh Abdallahi, on ne s’en démarque pas, mais ni l’un ni l’autre ne nous a demandé de créer un parti. Nous avons créé notre parti sur la base d’un programme et nous ne nous réclamons d’aucun homme d’Etat, même si nous nous sentons plus proches de certains que d’autres.
Il n’y a aucun recyclage. Chacun vient sachant là où il va. D’abord, il s’agit en général de cadres de haut niveau qui sont en mesure de distinguer entre le vrai et le faux ; ils connaissent les hommes et les femmes qui appartiennent au parti, et donc ils ont choisi, sur la base de notre programme politique, de notre statut et de notre règlement intérieur, de se joindre à nous pour qu’ensemble nous essayons d’amener le maximum de Mauritaniens à aller avec nous, de conscientiser le peuple mauritanien et de définir le meilleur moyen d’opérer un changement dans l’intérêt du peuple, et une fois que le peuple sera convaincu que son intérêt réside dans l’alternance pacifique et non dans les révolutions, nous aurons accompli un grand pas, parce que notre objectif en tant que parti politique est de prendre le pouvoir et l’exercer, mais il faudra auparavant concevoir et analyser pour parvenir à ces objectifs. Donc, cadres et militants ne viennent pas pour un recyclage ; ils viennent mettre leur expérience et leur disponibilité au service d’une entreprise difficile, mais exaltante.

Propos recueillis par AOC 

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