La ville de Nouakchott connait, depuis quelques jours, le phénomène d’écriture sur les murs (graffitis) avec tout ce que cela comporte comme désagréments à l’image de la ville et notamment de certains édifices publics.
Le regard du passant ne peut plus se fixer sur ces graffitis tant ils sont de plus en plus nombreux, exprimant, avec toutes les couleurs, des doléances multiples et variés.
Et c’est pire quand les propriétaires des édifices tentent de « couvrir » ces graffitis par une autre couche de peinture : L’image n’est vraiment pas belle à voir.
L’on s’étonne de la rapidité avec laquelle ces graffitis sont écrits au cours d’une seule nuit et même de leur ampleur, parce qu’ils ne sont pas circonscrits à une seule zone de la capitale.
Si, ailleurs, ces écritures et dessins sont l’expression d’une façon de vivre de la jeunesse, qui cherche à montrer sa différence, à vivre ses rêves et ses aspirations, ici, elles prennent une signification politique particulière dans un contexte de crise exacerbée entre le pouvoir et ses contradicteurs, notamment la Coordination de l’opposition démocratique (COD). Les graffitis sont redevenus le mode d’expression par excellence d’une vision politique chez les jeunes.
Et malgré l’existence de réseaux sociaux comme Facebook, sur lesquels les jeunes naviguent à longueur de journée et de nuit, à tel point qu’on parle même d’une sorte de « dépendance » (drogue), l’écriture sur les murs est considérée comme un espace gratuit offrant l’avantage de la durée et celui de toucher un public plus large, sans être soumis à aucune censure.
Le sujet rappelle la célèbre phrase du président Taya : « A mon arrivée, vous écriviez encore sur les murs », pour dire que le degré de contestation, sous son prédécesseur, avait atteint son comble. Mais Maaouiya est parti, comme il était venu, laissant derrière lui une impressionnante vague de graffitis dénonçant le ras-le-bol de population meurtries par vingt-années de pouvoir sans partage.
L’avis de Cheikh Ould Mahmoud sur la question est que les graffitis sont « un moyen gratuit pour s’exprimer librement, dont l’avantage est de durer et d’être vu par tous, surtout qu’une décision a été prise par les autorités pour interdire les banderoles dans les meetings du président Ould Abdel Aziz », selon son expression.
Qaunt à Salem Ould Mohamed Ali, ces écritures témoignent, plus que toute autre chose, de « la naïveté des jeunes qui emploient des slogans sans en connaître la portée et suivent aveuglement ce qu’on appelle les « printemps arabes » sans se rendre compte que notre situation politique est différente et négligeant, dangereusement, la fragilité de notre société », selon son propos.
La liberté est garantie
L’université de Nouakchott a connu un cycle sans fin d’écritures sur les murs ce qui a fait d’elle l’un des lieux privilégiés de ceux qui s’adonnent à l’écriture des graffitis.
Hamoudy Ould Hamadi déclare pourtant que les textes régissant la vie de l’Université donnent la latitude aux étudiants de s’exprimer librement mais fixent les lieux qui lui sont réservés (affichage, meetings, réunions, etc). « Partant de cela, dit-il, il n’y a aucune raison d’écrire sur les murs et de revenir à ces pratiques dignes seulement des moments des dictatures et de manque de liberté ».
Dans ce cadre, une source sécuritaire a indiqué que les graffitis « entrent dans le cadre de la nuisance aux biens publics et tombent, de ce fait, sous le couperet de la loi comme l’un des plus faibles des délits » (10 jours de prison, s’il y a une plainte déposée par un citoyen).
Un travail de l’ombre
Les graffitis dont le nombre croit de jour en jour sont l’expression de revendications connues avec le mouvement de la « jeunesse du 25 février » ou encore de MJM (Mouvement de la Jeunesse Mauritanienne). Cependant, Dedda Ould Mohamed Lemine, un blogueur connu de la mouvance « jeunesse du 25 février » nie l’existence de tout lien entre les graffitis et l’organisation. « Ce n’est pas l’un des canaux que l’on privilégie, avec l’existence de tant d’autres comme les réseaux sociaux, les manifestations et les meetings au cours desquels tout peut être dit », selon son expression. Il ajoute que les graffitis « sont une pratiques non civilisées qui portent préjudice aux édifices publics et privés ».
Un horizon bouché
Selon Didi Ould Saleck, professeur de droits international à l’Université de Nouakchott et président de l’Institut Maghrébin, les graffitis « sont l’expression d’une colère qui ne peut plus être contenue parce que les moyens de communications classiques ne lui ont pas permis d’être extériorisée ». Il a ajouté que c’est un style qui permet d’atteindre des objectifs autres que ceux que permettent les moyens traditionnels, par le caractère des écritures, les couleurs et le nombre de personnes qui seront, forcées, malgré elles, à lire ces cris de révolte disposant d’espace gratuit. Il s’est étalé longuement sur ce moyen d’expression utilisé naguère par les mouvements de contestation sociale et politique, tel le mouvement des Kadihines, et alors que tous les moyens de communication étaient concentrés entre les mains des pouvoirs publics.
C’est aussi, selon cet expert, un moyen d’attirer l’attention des couches non instruites de la population qui, sans savoir déchiffrer ces messages comprennent, tout de même qu’il y a un malaise profond au niveau social et politique, comme en témoigne également les manifestations non stop à l’Université et à l’ISERI (Institut supérieur des études et recherches islamiques).
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