mardi 9 août 2011

Interview de Ahmedou Ould Tajidine, membre de la coordination du 25 Février 07/08/2011



«Nous ne manifestions pas pour le plaisir de le faire»
Des membres de la coordination du 25 février qui a organisé plusieurs manifestations ces derniers mois pour demander des reformes et parfois la chute du gouvernement, ont été reçus récemment par le président Mohamed Ould Abdel Aziz. Cette audience...


....a suscité des interrogations sur sa signification et son opportunité.
Nous avons rencontré Ahmedou Ould Tajidine, l’un des membres de cette mouvance qui a bien voulu se prêter à nos questions.Entretien

Tahalil : Votre coordination est passée assez vite des manifestations violemment réprimées aux négociations avec le régime…
Ahmedou Ould Tajidine : Vous devriez plutôt dire que nous nous sommes fait entendre assez vite ! Nous ne manifestions pas pour le plaisir de le faire. Mais pour se faire entendre. Pour voir notre pays avancer vers le meilleur. Il était hors de question de refuser le dialogue et l’occasion qu’il nous offre pour exposer notre plateforme et pour voir sa mise en œuvre.

Tahalil : Vous avez été reçu par le Président de la République, comment cela s’est-il passé?
AOT : Depuis le début, nous avions déclaré notre souhait pour trouver des solutions à la situation que nous vivons en Mauritanie, cela s’était traduit par notre plate forme revendicative que nous avons exposée dès le mois de Mars.
Depuis 3 mois, nous avons remarqué que le pouvoir en place s’est ouvert au dialogue, notamment avec la COD, nous avons alors demandé un dialogue franc pour notre mouvement social, ce qui fut accepté le premier jour, d’où l’audience que nous a accordée le Président de la République.
Cette audience qui s’est passée dans un climat saint avec un dialogue franc et serein nous a permis d’expliquer nos revendications et ensuite d’entendre du premier décideur que l’Etat nous garantit le droit de manifester et que nos revendications sont légitimes et compréhensibles . Et que des stratégies seront mises en œuvre dans un proche futur afin de trouver des solutions aux problèmes socioéconomiques du pays.

Tahalil : C’était quoi la coordination du 25 février, maintenant que vous êtes sortis de la clandestinité?
AOT : D’abord il y a une cellule de 12 personnes, des différentes composantes du pays et représentant chacun un groupe physique (individus) ou virtuel (facebook), qui s’était formée dès la première semaine de Février et à laquelle se joindront le 25 Février, triés sur le tas, 6 autres délégués des groupes ayant été particulièrement actifs lors des premières manifestations.
Le mouvement a toujours été à nos yeux pacifique et civil, avec des revendications socio-économiques à nos yeux légitimes et annoncées dès le mois de Mars.
Nous pensons que seules la démocratie, la liberté et l’égalité constituent une voie apte à arracher de leur exclusion, du traitement défavorable dont ils sont victimes et de leur marginalisation, passés et actuels, les couches et les classes sociales afin de redresser leur situation de défavorisés.

Tahalil : Avec la confusion entre Coordination du 25 et la Coalition du 25, où se situe la différence entre les deux ?
AOT : D’anciens membres de la coordination, du fait de leur allégeance inconditionnelle aux partis politiques (Tawassoul, RFD et UFP), assoiffés de pouvoir avaient une approche plutôt politique dictée par leur ainés. Cette jeunesse et leurs partis respectifs avaient, à l’époque, tenté la récupération de notre mouvement et de ses revendications. Leur échec fût cinglant.
Après plusieurs avertissements, surtout que notre charte prône : « La coordination de la Jeunesse du 25 Février est une dynamique de jeunesse non soumise à aucune sensibilité politique, syndicale, ethnique, régionale ou tribale »; Ces jeunes furent expulsés de la coordination et iront alors créer la coalition du 25 Février avec comme principal revendications, ceux de leurs ainés.
La différence est nette, nous sommes indépendants et réclamons des revendications socio-économiques pour tous les mauritaniens, eux répètent les doléances de leurs partis, notamment le fameux accord de Dakar, qui à nos yeux et aux yeux de nos concitoyens ne représente rien et n’est pas du tout important.
Nous, cherchons le bien être du citoyen Mauritanien, et ce :
En offrant à tous les mauritaniens et les mauritaniennes l’opportunité de jouer un rôle positif dans sa lutte juste et pacifique en vue d’un avenir meilleur pour le citoyen mauritanien, exigeant des réformes profondes sur les plans économique et social ;
En adoptant dans notre combat une approche pacifique et en rejetant toute forme de violence et de propagandes revanchardes, racistes, régionalistes ou tribalistes ;
En témoignant de notre solidarité et de notre soutien aux revendications justes de toutes les composantes et de toutes les tranches d’âge de la société.
Eux …. , cherchent le pouvoir !

Tahalil : Quelles sont vos revendications ?
AOT : Je m’en vais vous rappeler, quelques unes des plus importantes à nos yeux :
Élaboration d’un état des lieux du secteur de l’éducation destiné à identifier une stratégie consensuelle et susceptible d’adapter notre système éducatif à un monde moderne et aux réels besoins du marché du travail ;
Élaboration d’un état des lieux du secteur de la santé axé sur l’identification d’une stratégie nationale concise visant à améliorer l’état détérioré des services sanitaires rendus actuellement aux patients ;
Fixation d’une subvention aux prix des médicaments et mise en place effective d’un contrôle strict sur leur importation, leurs lieux de stockage, leur distribution et leur vente et la sanction systématique de tous les auteurs de fraudes et de contrefaçons ;
Exemption des produits de première nécessité (notamment le sucre, le riz, le blé, le lait, l’huile) du principe de libéralisation des prix en fixant des marges maximales de bénéfice pour leurs importateurs et leurs distributeurs ;
Adoption de politiques de « discrimination positive » au profit des couches sociales exclues et mise en place de stratégies sociales axées sur l’éducation et la santé ciblant en particulier les Adwabas ;
Application rigoureuse des textes juridiques incriminant les pratiques esclavagistes et élaboration de sérieux programmes destinés à éradiquer définitivement l’esclavage et toutes ses séquelles ;
Recrutement des jeunes compétences nationales et de la main d’œuvre qualifiée dans le cadre des activités des entreprises étrangères opérant en Mauritanie ;
Adoption d’une politique de l’habitat apte à garantir un logement décent à une grande partie des citoyens mauritaniens et la distribution rapide des terrains aux ayants droit ;
Adoption d’une politique de généralisation progressive des bourses aux étudiants mauritaniens à l’intérieur et à l’étranger et la garantie d’un transport gratuit aux élèves et aux étudiants ;
Considération de la jeunesse mauritanienne avec plus d’intérêt et son implication de manière effective dans la gestion des affaires publiques ;
Institution d’une assurance maladie au profit des sans emplois et versement d’une indemnité légale et mensuelle au profit des diplômés chômeurs ;
Élaboration, suivant une procédure d’urgence, d’une politique d’emploi permettant la création et le recrutement d’au moins 100.000 emplois au cours des trois prochaines années;
Assainissement du système bancaire pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle de moteur du développement ;
Élaboration et promotion de stratégies agricoles destinées à garantir l’autosuffisance alimentaire notamment en ce qui concerne les produits de première nécessité ;

Tahalil : Avez- vous une vision pour la Mauritanie de demain ?
AOT : Après plus de 50 ans d’existence, la Mauritanie a besoin d’être « repensée » par ses fils. Car elle a besoin de rectifier le tir dans beaucoup de domaines notamment ceux intimement liés à son avenir. Elle doit s’adapter, à la fois, aux exigences sociales et aux évolutions du monde extérieur. Pour ce faire, elle doit écouter toutes les voix qui militent pour son développement et son unité. Loin de toute exclusion ou discrimination.
Notre mouvement, souhaite voir une Mauritanie unie et réconciliée. Cette Mauritanie culturellement diversifiée et ethniquement colorée a toute les raisons de panser ses plaies du passé et de rechercher, objectivement, des solutions consensuelles aux différents sujets de discorde et « dossiers fâcheux». C’est une nécessité de premier ordre.
Nous voulons, également, voir une Mauritanie soucieuse de sa Jeunesse, toute sa Jeunesse. Cette Jeunesse qui constitue, bon gré mal gré tous, le « dynamo » de notre société. Son générateur qui conditionne son évolution. Investir dans la Jeunesse c’est, pour une nation, préserver son propre avenir. Son emploi et son association à la vie politique constitueront les meilleurs gages de son intégration.

Tahalil : Quelles sont, selon vous, les solutions que l’Etat doit mettre en œuvre afin de régler le problème de l’emploi ?
AOT : Nous pensons que le secteur de l’emploi a besoin de gros projets pour atténuer le chômage galopant ; si l’Etat s’empresse à lancer des projets comme celui du nouveau Aéroport de Nouakchott, le chemin de fer Nouakchott-Kaédi, une autoroute Nouakchott-Rosso, ou le projet Ribat Al Bahr … ; une grande partie de la Jeunesse trouvera des débouchés et le développement du pays connaitra des jours meilleurs. Le président pourra en faire son cheval de bataille pour les 3 années restantes de son mandat.

Tahalil : Que pensez-vous du système éducatif ?
AOT : Ouf !!! La cloche de l’école républicaine s’est arrêtée de sonner depuis belle lurette. Nous assistons, en effet, depuis une vingtaine d’années à l’agonie de notre système éducatif. En 1978, les dépenses publiques totales dans le secteur de l’éducation constituaient 5% du PIB ; aujourd’hui, seulement 2,3% lui sont allouées. Ce ratio, constitue l’une des preuves du désengagement de l’Etat par rapport à ce secteur.
Si l’Etat s’engage à inviter tous les acteurs à des journées de concertations, un nouveau programme éducatif, accompagnant les attentes de notre ère, pourrait devenir la base d’un nouveau départ pour une école digne de ce nom. Pendant les deux premières années, les enseignants se spécialiseront par classe à enseigner et pourraient subir des formations et mises à niveau pendant les 4 mois totalisant les vacances annuelles, et ce pendant les deux années à venir ; l’Etat devra les indemniser pour ces deux années sans vacances ; cependant les résultats pourront se faire ressentir dès la 3ème année. Cette stratégie devra obligatoirement se faire accompagner par un contrôle rigoureux des services d’inspection du Ministère de l’Education. D’autres mesures d’accompagnement peuvent être considérées par les professionnels.
Aussi, le Ministère chargé de la culture pourra créer des clubs ou associations spécialisées (électronique, informatique, énergie solaire, astronomie, mathématiques, ….) dans les établissements publics (lycées pour commencer), cela éviterait à la plupart des jeunes d’errer dans la ville après les cours et pendant les vacances. Cet accompagnement du département de la culture fût une réussite dans les pays maghrébins.

Tahalil : Que représente pour vous le projet le plus urgent à mettre en œuvre par le gouvernement actuel ?
AOT : L’assainissement de la ville de Nouakchott. Depuis la réalisation du projet Aftout Essahli et le fleuve Sénégal est pompé et conduit vers Nouakchott avec un débit journalier de 70 000 m3/jr. Cette eau s’infiltre après usage par les ménages et constitue une nappe de surface qui avec le temps fera de Nouakchott une ville flottante. Il est urgent de trouver une solution pour l’assainissement de Nouakchott, à défaut les prochains hivernages seront catastrophiques, et les déplacements pourraient devenir quasi-impossibles.
Aussi, il serait urgent de mettre en place une méthode de planification stratégique qui permettrait d’élaborer les stratégies nationales et ce en partant de la base (village, commune, Moughataa, Wilaya, pays). Toutes les stratégies mises en place aujourd’hui ont été conçues par des « experts » dans leurs bureaux et ne prennent pas du tout en compte les véritables problèmes auxquels le pays est confronté.

Tahalil : Des groupes de jeunes proches du pouvoir vous ont approché dernièrement pour un dialogue voire une association entre vous. Qu’en est t-il ?
AOT : Laissez-moi vous dire que nous sommes ouverts à tout dialogue et avec tout groupe de jeunes mauritanien. En effet, le groupe de réflexion « REMEDE » ainsi que « Coalition De Demain » ont entamé avec nous des discussions sur le devenir des générations oubliées voire sacrifiées que sont les nôtres. Il y a bien lieu de réfléchir à une forme de structure pouvant abriter ces groupes jusqu’ici marginalisés par les formations politiques classiques.

Tahalil : Qu’entendez-vous par formations politiques classiques ?
AOT : Je vais vous édifier par un exemple très simple. Les fils et filles des 4 vices présidents d’un « grand parti » de la place occupent les postes alloués à la Jeunesse ; presque une dynastie. Quelle place avons-nous chez eux ? Quel est le parti politique qui va collecter des habits, de la nourriture, des livres, … etc., et les fournir aux citoyens les plus nécessiteux ? Quel est le parti qui va approcher les écoles publiques sans enseignants et donner des cours gratuit ? Quel est le parti dont la jeunesse est allé aider les populations de Tintane ou Rosso après les inondations ? …. J’entends par « formation politique classique » en Mauritanie tout parti politique qui n’a d’autre but que d’arriver au pouvoir le plus vite possible, par n’importe quels moyens (y compris la bénédiction de coups d’Etats) et évidement sans réfléchir aux conséquences souvent désastreuses pour un pays perpétuellement en équilibre instable.
Ces « ainés » sont aux commandes depuis les années soixante, ne trouvez-vous pas qu’il est temps qu’ils cèdent leurs places aux nouvelles générations ?
Propos recueillis par IOM


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