vendredi 3 avril 2015

Des banques pour blanchir de l’argent en Mauritanie ?... : L’avocat Me Sidi El Moctar Ould Sidi émet des doutes

03-04-2015 13:51 - 

Des banques pour blanchir de l’argent en Mauritanie ?... : L’avocat Me Sidi El Moctar Ould Sidi émet des doutes
L'Authentique - Dans un entretien accordé à notre confrère Mamadou Lamine Kane, Me Sidi El Moctar Ould Sidi,professeur de droit privé et avocat déclare que « le risque est grand de voir l’argent de la drogue irriguer les banques nationales ». Peu avant cette entrevue, laMauritanie avait d’abriter une conférence internationale sur la transparence et le développement durable, alors que certains observateurs s’inquiètent de « l’opacité dans le domaine bancaire » tout comme les « crimes financiers toujours tolérés par l’état mauritanien ». 

Dans cet entretien inédit qui brise bien des tabous, Me Sidi El Moctar Ould Sidirévèle le statut délinquant de la Banque centrale de Mauritanie (BCM), premier transgresseur de la loi bancaire et acteur par excellence du blanchiment d’argent. 

Selon l’avocat, la BCM créée en 1973 pour imposer et protéger la transparence du secteur bancaire a cessé depuis 1983 d’évoluer dans la légitimité de ses fonctions. Depuis 1983, souligne-t-il, les instructions du gouverneur de la BCM qui définissent les politiques monétaires et de change qui sont les piliers du système bancaire, n’ont jamais été publiées au Journal Officiel. 

Résultat, il n’y a plus de transparence dans le système financier et bancaire enMauritanie. Selon lui, « moralement, nous ne sommes pas dans une posture où on peut punir le blanchiment d’argent, car c’est la BCM qui, à un premier degré, pratique le blanchiment d’argent »

Expliquant la floraison des banques nouvelles qui ont été créées ces sept dernières années en Mauritanie, l’avocat rapporte ce phénomène à l’incidence du politique sur l’économique, soulignant que cela existe partout dans le monde, mais prend une allure vulgaire en Mauritanie.

Chaque changement de régime, par coup d’Etat, apporte ses lots de nouvelles banques qui configurent les nouveaux hommes forts du régime, souligne-t-il. Des banques naissantes avaient accompagné l’avènement de Ould Taya, d’autres arrivent dans les valises de Aziz, avec distributions d’agréments tous azimuts, « à n’importe qui, des illettrés, des escrocs, et même à un soldat retraité » énumère-t-il.

Il s’agit de créations sans motif économique, juste pour des services politiques qui serviront durant les campagnes électorales lorsque les donateurs renverraient l’ascenseur au régime qui les a aidés à avoir une banque. L’avocat rejoint ainsi une opinion largement répandue selon laquelle « le taux de bancarisation est tellement faible en Mauritanie, que l’existence de tant de banques est injustifiable économiquement ».

Par rapport à ses interlocuteurs internationaux et à la finance mondiale, Me Sidi El Moctar Ould Sidi trouve que l’Etat mauritanien fait preuve d’un manque de sérieux notoire. Pour lui, ces nouveaux patrons de banque ne savent même pas gérer une boutique à plus forte raison une institution bancaire et trouve que laMauritanie fait courir un grand risque au système bancaire mondiale, tant sur le plan pratique que sur celui de la conception, car l’Etat mauritanien fait preuve de légèreté dans « la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, si on accepte de donner des agréments à n’importe qui ».

Selon lui l’exemple de la loi 2007 atteste de cette confusion dans le rôle d’une banque par rapport à celui d’un simple établissement de crédit, semant ainsi la confusion au sein des juristes et des magistrats ainsi que des cadres de l’administration.

Autre exemple, celui du juriste et ancien gouverneur de la BCM, Sid’Ahmed Raïss qui, d’après lui, n’a pu changer la donne, car la BCM continuait, selon ses propos, à ne pas procéder à des contrôles, se contentant de traiter avec courtoisie les banques primaires, ajoutant à l’opacité du système. Le résultat pour l’avocat, est qu’avec les changements issus de la loi sur les créances bancaires, les banques se sont placés au dessus de l’Etat, en créant un risque d’instabilité à l’ensemble du système politique et économique.

Autre handicap pour l’investissement étranger, la partialité de la justice mauritanienne et l’immixtion de l’Exécutif dans le circuit économique. Pour l’avocat, pas étonnant que les investisseurs refusent de venir en Mauritanie, car la partialité de la justice reste un handicap, malgré les garanties données par le président de la République et la création d’une zone franche à Nouadhibou

Selon lui, l’étranger en Mauritanie reste un justiciable de deuxième ou troisième degré, écrasé par la force du lobbying tribal et politique. Même au niveau de l’exécution des sentences, « si vous avez des liens tribaux ou politiques avec le ministre de la justice ou avec des puissants du gouvernement, la justice penche automatiquement en votre faveur » témoigne-t-il, ajoutant que « par le biais de son ministère de la justice, à travers ses procureurs notamment qui sont ses représentants, l’Exécutif a toujours refusé l’exécution des jugements rendus contre les banques locales en faveur des étrangers ».

Et de donner l’exemple d’une société espagnole à qui la plus haute formation judiciaire en Mauritanie, la Chambre réunie de la Cour Suprême, vient de rendre un jugement en sa faveur contre une banque locale pour un montant dérisoire de 100.000 Euros. Le Procureur général refusa, selon lui, l’exécution de ce jugement parce que c’est contre une banque nationale, et l’avocat de souligne que cette banque devait être exclue du système SWIFT.

Et l’avocat de se demander dans ce cas, « que dire aux investisseurs, sinon de se méfier de la justice mauritanienne » dont l’inféodation au pouvoir politique est devenue indéniable avec la mésaventure de l’Ambassadeur d’Espagne venu plaider auprès du procureur général l’exécution d’un jugement rendu par la justice mauritanienne en faveur d’une société espagnole. Pour toute réponse, le magistrat lui a conseillé de « demander plutôt une intervention au niveau du gouvernement ! » 

Pour Me Sidi El Moctar « la Mauritanie est dans l’Antiquité, quand Aristote disait que la piraterie vis-à-vis de l’étranger est un acte de noblesse », soulignant que « la piraterie, le mensonge, l’injustice vis-à-vis de l’étranger est perçu comme un acte de noblesse, ce qui selon lui, nous éloigne de notre étiquette de musulman.

Pour Me Sidi El Moctar, on ne peut parler ni d’ordre ni de système bancaire enMauritanie tant le chaos persiste en maître absolu, se référant à l’aberration toute mauritanienne qui veut que le Procureur de la République, qui se situe au rang inférieur de la magistrature dicte ses quatre volontés et s’oppose à l’exécution des jugements, écrasant de sa puissance usurpée le juge sensé pourtant détenir la force décisionnaire en matière de justice.

Autre renversement des valeurs, la Cour Suprême qui coiffe la pyramide judiciaire, ravalée au rang de moins que rien, « minimisée, humiliée, par le ministère de la justice » ajoutant que « les juges suprêmes ne valent rien et ne font qu’un travail platonien ».

L’ordre ou le système prédisposant une hiérarchie avec chacune ses prérogatives propres, ces mots n’auraient pas de sens en Mauritanie, car n’ayant ni poids ni effets juridiques, moraux ou économiques. Qui dit système bancaire, dira-t-il en substance, parle d’organisation et de transparence avec un juge, la BCM. Or, selon lui, « tu ne peux pas être juge, en étant toi-même dans une hypothèse de non-droit ». Ainsi, seule la force prime en l’absence de toute force donnée aux textes.

C’est ce qui a fait partir la banque BNP, alors que la Société Générale s’est adaptée à la réalité mauritanienne, remarque-t-il. Concernant l’imbrication de laMauritanie dans le trafic mondial de la drogue, deux faits l’attesteraient, l’ancien ambassadeur américain à Nouakchott, Mark Boulwar qui en 2009, annonçait, la hausse importante du trafic de drogue en Mauritanie et le rapport du FBI en 2014 qui classait la Mauritanie « comme zone de transit de drogue la plus importante de toute l’Afrique de l’Ouest ». D’où de fortes craintes que le système bancaire mauritanien puisse servir de relais pour le blanchissement de l’argent de la drogue.

Pour l’avocat, la Mauritanie est loin de la transparence financière avec des banques représentant des tribus, ce qui en soit serait selon lui, des délits extrêmement graves. Et de citer la GBM créée en son temps par le frère de Ould Taya, et de souligne qu’avec les banques nouvellement créées « on peut trouver les traces des apprentis du président actuel ». Me Sidi El Moctar estime que la Mauritanie ne peut pas respecter les résolutions du G7, lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, transparence, alternance pacifique en politique, toutes formes de malversations.

Pour Me Sidi El Moctar, le gouvernement mauritanien protège les « vrais bonnets de la drogue en les maintenant à l’abri de toutes sanctions ». Il soutient que les gouvernants mauritaniens n’ont jamais voulu que la première loi sur la drogue, celle de 2003, modifiée en 2007, qui sanctionne le transport et la commercialisation de la drogue, soit appliquée.

Car, selon lui, un décret organisant le cadre de l’application devait être promulgué, or il ne l’a jamais été jusqu’aujourd’hui. Ensuite, l’avocat ajoute que la loi sur le trafic de drogue en Mauritanie n’est pas réellement applicable, car elle fait référence à une convention qu’elle n’a pas ratifiée, en l’occurrence la Convention de l’Opium de 1912, sur la commercialisation de la drogue.

Ainsi, l’Etat mauritanien, aux dires de l’avocat est un Etat narcotrafiquant, « un paradis pour les trafiquants de drogue et les blanchisseurs d’argent sale liés à ce commerce ». Selon lui, drogue et politique ont toujours été inextricablement liés dans ce pays, citant deux dossiers où reviennent le nom de deux familles régnantes, Haidalla et Taya.

En conclusion, l’avocat dira qu’il est temps d’imposer un minimum de règles bancaires et juridiques, dans l’intérêt de tous, les présidents, leurs courtisans de passage, et les trois millions de Mauritaniens « pris en otages par ce chaos juridico-économique ». Pour lui, le régime de Aziz est une copie conforme de l’èreTaya.

MOMS 


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