dimanche 29 juillet 2012

Me Alioune Badara Cisse, ministre des affaires étrangères et des sénégalais de l’extérieur


«C’est alarmant de voir que les terroristes de AQMI se promènent, le doigt dans le nez, le long de notre territoire» «Pourquoi Wade avait refusé de signer les accords de défense entre la France et le Sénégal…». 

Lors de son passage en terre islamique deMauritanie, Me Alioune Badara Cissé (Abc), chef de la Diplomatie du Sénégal, s’est informé des conditions de vie des ressortissants sénégalais à Nouakchott et à Nouadhibou, entre autres, les tracasseries policières, notamment à la frontière, le paiement de la devise, la rupture de la charge, l’affrètement des pirogues, les problèmes des licences de pêche.

Et il en a discuté avec les différentes personnalités rencontrées dans ces deux villes, notamment le Président Mohamed Ould Abdel Aziz. Au terme de sa visite, Abc a bien voulu se prêter à nos questions. Entretien…

Quel est le nouveau langage de la nouvelle Diplomatie sénégalaise qui a permis la prorogation du protocole d’accords de pêche de trois mois que vous avez aisément obtenu au cours d’un entretien de 45 minutes avec le Président Mohamed Ould Abdel Aziz ?

Le sens de la responsabilité. Le respect de la souveraineté des Etats avec lesquels nous sommes en partenariat. La mise au placard de l’arrogance en bandoulière qui faisait bloquer bien des négociations. La Mauritanie, principalement, et la Gambie, où nous nous sommes rendus, il y a quelques jours, sont des Etats souverains et indépendants. Je pense que nous nous adressons à eux en montrant que nous leur devons respect et déférence, en toute équité et à égale dignité pour trouver des solutions aux problèmes.

Mais les Sénégalais ne sont pas exemptés de la carte de séjour ?

Il ne faut pas oublier que la Mauritanie est un pays souverain, qui peut décider pour les nécessités de sécurisation de son territoire et de ses habitants ainsi que les étrangers résidents sur son sol de mettre en place un système de sécurité le plus adéquat et le plus conforme au respect de droits de l’Homme et des conventions internationales.

Nous savons que la libre circulation des personnes et des biens est permise dans l’espace Cedeao avec une simple carte d’identité. Mais malheureusement, la Mauritanie est sortie du cadre de la Cedeao. Donc, il va falloir se conformer à la nouvelle pièce d’identité, qui est la carte de séjour. Nous avons plaidé la suffisance de la carte consulaire auprès du président de la République Islamique de Mauritanie, mais le Président, qui a sans doute raison, m’a fait savoir que «la carte consulaire n’est que le lien entre l’ambassadeur et ses concitoyens.

Et qu’elle ne peut donc pas lier un étranger à son pays d’accueil. Nous ne ciblons pas que les Sénégalais, mais tout le monde. Et nous ne ciblons pas uniquement les étrangers. Nous ciblons même les Mauritaniens, qui vont devoir faire face à des nouvelles pièces d’identité, à des nouveaux passeports de types biométriques pour lesquels il va falloir également qu’ils exposent au paiement des frais».

Et la grande nouveauté est qu’avec la nouvelle carte de séjour, vous pouvez rentrer et sortir autant de fois que vous voulez sans avoir à payer des devises à chaque passage. Le Président mauritanien m’en a fait l’affirmation.

Bon nombre des ressortissants sénégalais, qui ont été arrêtés à Nouadhibou et reconduits à la frontière sénégalaise, sont des pêcheurs Guet-ndariens (quartier de Saint-Louis). Que dites-vous à ces Sénégalais qui foulent illégalement le sol mauritanien sans le moindre papier d’identification en passant par ses eaux territoriales ?

Ces compatriotes pêcheurs Guet-ndariens ne sont pas dans l’illégalité. Parce qu’il est important que le pays d’accueil mette à la disposition des différents ports d’entrée, que ce soit par voie aérienne, par voie terrestre ou par voie maritime, un dispositif d’immigration chargé d’établir et de s’assurer que les hommes et les femmes qui foulent son territoire remplissent les conditions d’entrée dans son territoire.

C’est aussi simple que ça. Ce n’est pas de leur faute si la voie maritime est exempte de tout contrôle. C’est un point que je n’ai pas du tout abordé, malheureusement, au cours de mon entretien avec le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation. Il était très important qu’il y ait une entrée par la frontière pour les personnes qui viennent principalement de Guet-Ndar à bord de leur pirogue artisanale. Ce n’est pas de leur faute s’ils rentrent en Mauritanie sans être contrôlés.

Maintenant qu’ils arrivent par la voie maritime sans avoir à se présenter à un bureau et qu’ils continuent, par le fait de la facilité, à rester sans chercher une régularisation, on peut évidemment le leur reprocher. Mais vous savez que le Guet-ndarien, que je suis, ne s’encombre pas toujours des procédures administratives.

Pour vous dire qu’on a du mal à les contraindre à aller chercher leur pièce d’identité même dans leur quartier et dans leur ville d’origine. Ils sont tout le temps partis en mer. C’est très souvent le cas pour leurs enfants qui restent plusieurs années sans être baptisés et sans avoir un nom officiel, à plus forte raison d’être déclarés. L’instruction a été donnée à l’ambassadeur de dépêcher une mission consulaire que lui-même va diriger du 27 au 30 avril pour recueillir les déclarations de la plupart d’entre eux qui seraient dans cette situation à Nouadhibou.

Le Sénégal appliquera-t-il la réciprocité pour les ressortissants mauritaniens du Sénégal ?

La carte d’identité existe pour les étrangers au Sénégal. Elle existe fondamentalement dans notre pays. La carte d’étranger existe pour les étrangers qui vivent au Sénégal. De part et d’autres, nous en avions dispensé à nos ressortissants respectifs. Ce n’est pas parce que la Mauritanie instaure la carte de séjour pour les étrangers, y compris nos compatriotes sénégalais, que nous allons appliquer la réciprocité vis-à-vis des leurs.

Les Français rentrent bien chez nous sans présenter un visa, alors que c’est la croix et la bannière pour nos compatriotes de se rendre en France. Le Sénégal demeurera un pays d’accueil. Nous pensons que la Mauritanie est sujette à risques compte tenu de sa zone tampon avec le Sahara et le reste du Maghreb.

Si la Mauritanie constitue un bon filtre, tant mieux pour le Sénégal. Nous devrons saluer et participer aux efforts mauritaniens de sécuriser son immense territoire. Le Sénégal, quant à lui, s’arrangera en trouvant les moyens de sécuriser le sien s’il doit aller jusque-là. Mais la réciprocité ne semble pas être une bonne attitude. Donc, on ne la fera pas !

Pourtant le Sénégal n’est pas épargné de la lutte contre l’AQMI ! Parce que deux terroristes mauritaniens avaient aisément traversé le territoire du Sénégal pour se rendre et vivre en Guinée-Bissau, là où ils avaient été arrêtés et transférés à Nouakchott…

Ce fut une véritable alerte ! Nous avions dénoncé la léthargie des autorités de police, notamment des forces de sécurité et des renseignements à l’époque, qui ont permis à ces terroristes mauritaniens de se promener allègrement le long du territoire national pour se retrouver en Guinée-Bissau. Vous savez que nos frontières sont très poreuses. Et l’on ne peut pas se mettre un garde frontalier, un agent de sécurité ou un garde-côte à chaque mètre carré de nos frontières. Cela est pratiquement impossible.

Par contre, je pense qu’il est extrêmement alarmant de voir l’évolution de l’AQMI, sa recomposition en Mauritanie et de voir que les terroristes de l’Al-Qaïda du Maghreb islamiste se promènent, le doigt dans le nez, le long de notre territoire. Nous sommes bien sûrs concernés par la lutte contre l’AQMI dans le Sahel et dans le Maghreb.

Et nous prenons les mesures qu’il faut prendre. Nous suivons de près l’évolution de ce qui se passe au Mali où il y a l’AQMI, le BokoHaram…et tant d’autres regroupements où il y a les Touaregs qui ont des réflexes identitaires, mais pas forcément extrémistes. Le jeudi 19 avril courant, j’ai été dépêché à Bamako par le Président MackySall pour aller exfiltrer le Président Amadou Toumani Touré avec toute sa famille (17 personnes, Ndlr) pour les rapatrier à Dakar à bord de l’avion de commandement du Chef de l’Etat. Nous avons subi des coups de feu tirés à l’aéroport, voulant intimider ou empêcher son embarquement. C’est une question que nous prenons ou devrions prendre très au sérieux.

Pourquoi avez-vous dispensé à la France le paiement des loyers des locaux qu’elle occupe à Dakar ?

Nous n’avons absolument rien changé aux accords conclus entre le Sénégal et la France, mais non signés par le Président Abdoulaye Wade et le Président Nicolas Sarkozy, sauf la disposition tendant à dire que ces 300 ressortissants Français, qui restent encore dans notre pays, vont continuer d’occuper les locaux que la France, elle-même, a construits sans avoir à payer le moindre loyer ; alors que, pour le Président Wade, les Français, qui occupent eux-mêmes ces locaux sur les terrains qu’ils leur avaient été concédés par le Sénégal, devraient payer des loyers.

Quand nous avons fait les comptes entre ce que nous tirons de la coopération avec la France, des relations que nous avons de manière séculaire avec la France, qui est d’ailleurs la première puissance à nous venir en aide après que Wade a pillé les caisses de l’Etat. Et quand Sarkozy offre autour d’une table à déjeuner 130 millions d’euros (85 milliards FCfa), vous pensez qu’il était vraiment trivial de rester-là à exiger de celui-là, qui a construit des locaux, qui les occupe et qui sera à la charge de l’entretien, le devoir de payer le loyer Ce n’est pas Sénégalais et ce n’est pas élégant non plus.

Que répondez-vous à ceux qui disent que le fait que le Président MackySall ait réservé sa toute première sortie occidentale à la France n’est que le signe du retour de la Françafrique ?

La première visite de MackySall en Europe ne pouvait pas être réservée à un Etat autre que la France. Les rapports que nous avons avec la France, nous ne les avons pas avec aucun autre Etat. Pourriez-vous me citer un Etat occidental qui est plus proche du Sénégal ? Vous aurez du mal à le retrouver ! Donc, les rapports que nous avons avec la France sont exceptionnels. Je vous ai dit que les accords de défense que nous avons, nous ne les avons pas négociés. Ils étaient déjà négociés, il fallait juste les signer. Et la partie française a pensé qu’on ne pouvait pas leur exiger de loyer.!

Et nous avons pensé que c’est conforme à nos positions qu’on ne peut pas, au titre de la coopération internationale, exiger le paiement de loyer à des personnes qui ont construit des bâtiments qui continuent d’occuper avec une Armée de 300 personnes prêtes à se déployer un peu partout en Afrique où le besoin se ferait sentir. Le retour de la Françafrique ? Je ne sais pas qu’est-ce que veut dire la Françafrique… Je suis formé dans les universités françaises. Je ne sais pas ce que signifie la Françafrique ! Je pense que c’est un terme qui fait chic, qui fait genre et que l’on colporte à tout bout de chemin, mais qui n’a aucun contenu matériel réel.!

Il y aura donc des audits, puisque vous dites que les caisses de l’Etat sont vides ?!

Ce n’est plus au futur, il va y avoir des audits. Des termes de référence sont en train d’être constitués autant pour l’Ige (Inspection générale d’Etat), pour le Contrôle financier que pour la Cour des Comptes. Eventuellement, il y aura même des organismes privés, qui pourraient être saisis à l’occasion pour faire le point de la situation. Les inspecteurs des affaires administratives et financières dans chaque département devront déposer un rapport sur les niveaux d’exécution des budgets. !

Nous ne faisons pas de chasse aux sorcières. Mais nous avons envie de faire un état des lieux pour rendre compte aux Sénégalais de la situation dans laquelle nous avons trouvé ce pays pour pouvoir faire notre bilan de sortie le jour où il va falloir passer la main à quelqu’un d’autre.!

Camara Mamady






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