Libération - Les immensités du Sahara mauritanien, de nouveau accessibles aux touristes étrangers, révèlent les cinq éléments sous un jour inédit.
Après dix années d’interruption dues aux menaces terroristes, les randonneurs peuvent de nouveau arpenter le Sahara mauritanien, depuis le petit aérodrome d’Atar, à cinq heures de vol de Paris. A partir du bourg saharien où roulent des Mercedes hors d’âge, deux heures de route et un check-point suffisent pour s’élever jusqu’à 500 ou 600 mètres d’altitude sur un plateau désertique et rejoindre Chinguetti.
La ville endormie et à demi ensablée cache dans ses maisons de terre des manuscrits vieux d’un millénaire entassés sur des étagères poussiéreuses et des étals d’artisanat beaucoup plus nombreux que les huit touristes présents ce jour-là.
Depuis l’oasis, un guide chevronné, un cuisinier, deux chameliers et leurs six bêtes chargées de tapis, de nourriture et de 60 litres d’eau suffisent pour pénétrer durant six jours à l’intérieur de l’erg Ouarane, à la rencontre d’un paysage lunaire et des cinq éléments.
Terre
Les ruelles étroites, les palmiers, le château d’eau de Chinguetti s’évanouissent dans le brouillard de sable. Au sol, un sable dur hérissé de petits cailloux et de fleurs de chardons qui s’incrustent dans les semelles. Peu à peu, des dunes de sable orange, beige ou blanc-bleu s’élèvent doucement. Leur sable fin coule comme un métal en fusion sous les pieds nus des marcheurs. Après quelques heures, ou peut-être quelques jours tant le temps s’étire démesurément à marcher sans fin sur les crêtes d’une mer de dunes, surgissent les angles droits d’un grand monolithe de terre rouge.
Parallélépipède haut de plusieurs mètres, posé sur un socle érodé, il semble avoir été oublié là par quelque peuple venu d’une lointaine planète, protégé par une muraille de sable tourbillonnant. Çà et là, au milieu de nulle part, un arbre lilliputien pousse vers le ciel ses quelques centimètres, une fleur égaye de mauve les couleurs minérales, une pointe de flèche taillée ou une pierre polie remontent des profondeurs du passé, rappelant que le Sahara était une plaine fertile aux lacs poissonneux il y a environ 10 000 ans.
Au flanc d’une montagne de roche noire sont dessinés à l’ocre rouge un troupeau de vaches et ses bergers longilignes. Partout, des buissons et des acacias aux branches noueuses et dures offrent un peu d’ombre aux humains et une nourriture hérissée d’épines aux animaux, témoignant de la présence d’une nappe d’eau souterraine.
Eau
Ce n’est qu’un rond immobile, recouvert d’une pellicule de sable, loin, très loin au fond d’un cylindre de pierres, mais il fait sauter de joie le guide. Le puits, comme d’autres de la région, a été construit pour la communauté par un nomade qui a fait fortune. On y puise avec un seau de caoutchouc une eau claire et froide, qui disparaît bien vite par les trous d’un demi-tonneau de fer rongé par la rouille. Parfois, le puits est vide, et il faut marcher alors jusqu’au suivant, guidé par la mémoire collective et les informations échangées avec les voyageurs de rencontre. La région est encore habitée par de nombreux Maures nomades, qui vivent de l’élevage de chèvres, d’ânes ou de chameaux.
Se débarbouiller semble un blasphème tant l’eau paraît rare, sauf dans une oasis perdue au milieu de l’immensité, où quelques mouvements de pompe la font couler à flots. Pourtant, des oueds aux lits ravinés rappellent qu’il pleut parfois dans le Sahara, quelques gouttes lâchées par un ciel plombé ou de violents orages.
Feu
Le sol est parfois jonché de fragiles tubes de verre opaques, des fulgurites nées de la rencontre entre la foudre et la roche. Lorsqu’un éclair touche le sol, il dégage une énergie telle que la température monte à plusieurs milliers de degrés et fait fondre la silice sous terre, fabriquant ces «pierres de foudre». Le feu quotidien est si domestiqué, lui, que les Maures ne craignent pas de le transporter en haut d’une dune pour profiter d’un meilleur point de vue pour prendre le thé. Quelques branches suffisent à cuire le pain à même le sable ou à attendrir la viande d’une chèvre achetée à un berger. Dans un petit réservoir de métal carré, les braises chauffent le thé alors qu’autour de la flambée du matin se réchauffent les membres de la caravane engourdis par une aube glaciale.
Air
Dans cet air pur et sec, nulle vapeur d’eau, nulle couverture de nuages pour retenir la chaleur. Dès que le soleil baisse sur l’horizon, les grains de sable renvoient dans l’espace l’énergie accumulée durant la journée. Au matin, la promesse de l’air est rapidement balayée par des rafales qui emportent les casquettes. Seuls les longs foulards enroulés serrés protègent les marcheurs de la morsure des rayons du soleil et des gifles d’un vent chargé de sable, qui s’insinue dans chaque pli, fait coller les paupières et teint d’orange poils et cheveux. Ce «vent des palmiers», qui permet de supporter sans souci les 30 degrés du début d’après-midi, s’éteint le soir aussi soudainement qu’il était venu, plongeant le campement dans un calme surréaliste. Mais parfois, la nuit, une bise du nord prend la relève, faisant ressentir plus cruellement la température proche de zéro au mois de janvier.
Ether
Dans son Traité du ciel, le philosophe grec Aristote définit le cinquième élément comme l’éther, le constituant des astres. Dans le Sahara (mot qui signifie «désert»en arabe), la beauté de la nuit est un spectacle à elle seule. Elle tombe tôt, ourlant d’un précipité d’étoiles l’horizon courbe. Lorsque la lune est réduite à un fin sourire, la réflexion des astres est assez puissante pour ne pas avoir besoin d’allumer une lampe quand on se déplace.
On peut alors suivre la route des satellites, voir basculer les constellations d’un bout à l’autre de la nuit, s’abandonner au spectacle des étoiles filantes. Lorsqu’elle est pleine et ronde, elle éclaire comme un phare le paysage endormi et les animaux curieux qui trottinent autour des duvets. Pour échapper à ses rayons et au hurlement des chacals, le dormeur ne peut que s’enrouler encore un peu plus dans ses couvertures en attendant le matin.
Par Laurence Defranoux
Envoyée spéciale en Mauritanie
Après dix années d’interruption dues aux menaces terroristes, les randonneurs peuvent de nouveau arpenter le Sahara mauritanien, depuis le petit aérodrome d’Atar, à cinq heures de vol de Paris. A partir du bourg saharien où roulent des Mercedes hors d’âge, deux heures de route et un check-point suffisent pour s’élever jusqu’à 500 ou 600 mètres d’altitude sur un plateau désertique et rejoindre Chinguetti.
La ville endormie et à demi ensablée cache dans ses maisons de terre des manuscrits vieux d’un millénaire entassés sur des étagères poussiéreuses et des étals d’artisanat beaucoup plus nombreux que les huit touristes présents ce jour-là.
Depuis l’oasis, un guide chevronné, un cuisinier, deux chameliers et leurs six bêtes chargées de tapis, de nourriture et de 60 litres d’eau suffisent pour pénétrer durant six jours à l’intérieur de l’erg Ouarane, à la rencontre d’un paysage lunaire et des cinq éléments.
Terre
Les ruelles étroites, les palmiers, le château d’eau de Chinguetti s’évanouissent dans le brouillard de sable. Au sol, un sable dur hérissé de petits cailloux et de fleurs de chardons qui s’incrustent dans les semelles. Peu à peu, des dunes de sable orange, beige ou blanc-bleu s’élèvent doucement. Leur sable fin coule comme un métal en fusion sous les pieds nus des marcheurs. Après quelques heures, ou peut-être quelques jours tant le temps s’étire démesurément à marcher sans fin sur les crêtes d’une mer de dunes, surgissent les angles droits d’un grand monolithe de terre rouge.
Parallélépipède haut de plusieurs mètres, posé sur un socle érodé, il semble avoir été oublié là par quelque peuple venu d’une lointaine planète, protégé par une muraille de sable tourbillonnant. Çà et là, au milieu de nulle part, un arbre lilliputien pousse vers le ciel ses quelques centimètres, une fleur égaye de mauve les couleurs minérales, une pointe de flèche taillée ou une pierre polie remontent des profondeurs du passé, rappelant que le Sahara était une plaine fertile aux lacs poissonneux il y a environ 10 000 ans.
Au flanc d’une montagne de roche noire sont dessinés à l’ocre rouge un troupeau de vaches et ses bergers longilignes. Partout, des buissons et des acacias aux branches noueuses et dures offrent un peu d’ombre aux humains et une nourriture hérissée d’épines aux animaux, témoignant de la présence d’une nappe d’eau souterraine.
Eau
Ce n’est qu’un rond immobile, recouvert d’une pellicule de sable, loin, très loin au fond d’un cylindre de pierres, mais il fait sauter de joie le guide. Le puits, comme d’autres de la région, a été construit pour la communauté par un nomade qui a fait fortune. On y puise avec un seau de caoutchouc une eau claire et froide, qui disparaît bien vite par les trous d’un demi-tonneau de fer rongé par la rouille. Parfois, le puits est vide, et il faut marcher alors jusqu’au suivant, guidé par la mémoire collective et les informations échangées avec les voyageurs de rencontre. La région est encore habitée par de nombreux Maures nomades, qui vivent de l’élevage de chèvres, d’ânes ou de chameaux.
Se débarbouiller semble un blasphème tant l’eau paraît rare, sauf dans une oasis perdue au milieu de l’immensité, où quelques mouvements de pompe la font couler à flots. Pourtant, des oueds aux lits ravinés rappellent qu’il pleut parfois dans le Sahara, quelques gouttes lâchées par un ciel plombé ou de violents orages.
Feu
Le sol est parfois jonché de fragiles tubes de verre opaques, des fulgurites nées de la rencontre entre la foudre et la roche. Lorsqu’un éclair touche le sol, il dégage une énergie telle que la température monte à plusieurs milliers de degrés et fait fondre la silice sous terre, fabriquant ces «pierres de foudre». Le feu quotidien est si domestiqué, lui, que les Maures ne craignent pas de le transporter en haut d’une dune pour profiter d’un meilleur point de vue pour prendre le thé. Quelques branches suffisent à cuire le pain à même le sable ou à attendrir la viande d’une chèvre achetée à un berger. Dans un petit réservoir de métal carré, les braises chauffent le thé alors qu’autour de la flambée du matin se réchauffent les membres de la caravane engourdis par une aube glaciale.
Air
Dans cet air pur et sec, nulle vapeur d’eau, nulle couverture de nuages pour retenir la chaleur. Dès que le soleil baisse sur l’horizon, les grains de sable renvoient dans l’espace l’énergie accumulée durant la journée. Au matin, la promesse de l’air est rapidement balayée par des rafales qui emportent les casquettes. Seuls les longs foulards enroulés serrés protègent les marcheurs de la morsure des rayons du soleil et des gifles d’un vent chargé de sable, qui s’insinue dans chaque pli, fait coller les paupières et teint d’orange poils et cheveux. Ce «vent des palmiers», qui permet de supporter sans souci les 30 degrés du début d’après-midi, s’éteint le soir aussi soudainement qu’il était venu, plongeant le campement dans un calme surréaliste. Mais parfois, la nuit, une bise du nord prend la relève, faisant ressentir plus cruellement la température proche de zéro au mois de janvier.
Ether
Dans son Traité du ciel, le philosophe grec Aristote définit le cinquième élément comme l’éther, le constituant des astres. Dans le Sahara (mot qui signifie «désert»en arabe), la beauté de la nuit est un spectacle à elle seule. Elle tombe tôt, ourlant d’un précipité d’étoiles l’horizon courbe. Lorsque la lune est réduite à un fin sourire, la réflexion des astres est assez puissante pour ne pas avoir besoin d’allumer une lampe quand on se déplace.
On peut alors suivre la route des satellites, voir basculer les constellations d’un bout à l’autre de la nuit, s’abandonner au spectacle des étoiles filantes. Lorsqu’elle est pleine et ronde, elle éclaire comme un phare le paysage endormi et les animaux curieux qui trottinent autour des duvets. Pour échapper à ses rayons et au hurlement des chacals, le dormeur ne peut que s’enrouler encore un peu plus dans ses couvertures en attendant le matin.
Par Laurence Defranoux
Envoyée spéciale en Mauritanie
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Source : Libération (Mauritanie)
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