C'est la 3e fois qu'il voyage
au Kenya mais la première en tant que chef de l'Etat. Barack Obama est
arrivé hier à Nairobi. Une visite sous haute sécurité sur la terre qui a
vu naître son père. Sans doute la dernière en tant que président des
États-Unis dans ce pays et beaucoup d'espoirs déçus pour le continent.
François Durpaire, historien spécialiste des États-Unis et maître de
conférences à l'université de Cergy Pontoise est l'invité de RFI.
RFI : Pourquoi cette visite si tardive du président américain au Kenya ?François Durpaire : C’est très simple. La réponse c’est Uhuru Kenyatta, le président du Kenya. Barack Obama souhaitait aller au Kenya, mais ne pouvait pas y aller évidemment en tant que président sans rencontrer le président kenyan. Et la raison était simple, c’était les problèmes de Uhuru Kenyatta avec la Cour pénale internationale. Maintenant que c’est réglé Barack Obama peut aller au Kenya.
Et puis il y a aussi une raison personnelle. On sait que le père de Barack Obama a travaillé pour le père de Uhuru Kenyatta, Jomo Kenyatta, qui était le fondateur du Kenya. Et ça s’est très mal passé. C’est l’une des raisons pour lesquelles la fin de vie du père de Barack Obama a été très compliquée. Il y avait donc ce petit contentieux personnel qui évidemment était inséré dans ce contentieux politique.
Le déplacement de Barack Obama a débuté ce matin par le Sommet mondial de l’entrepreunariat à Nairobi. C’est cet aspect-là qui pourrait rester du mandat d’Obama avec l’Afrique : une volonté de reconquête économique ?
Pour l’instant on en est vraiment au stade de la volonté et non au stade de la reconquête économique. Prenons simplement ce chiffre brut : les échanges commerciaux entre la Chine et les Etats-Unis sont trois fois plus importants que les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Afrique. Donc on a quelque chose de l’ordre du rattrapage nécessaire.
Il faut penser que pour le Kenya le premier exportateur c’est l’Inde, même devant la Chine. Trois jours avant la visite de Barack Obama au Kenya, le président du Kenya a rencontré le président de la Banque industrielle et commerciale de Chine. Les Etats-Unis sont en retard [au Kenya], un pays qui certes connaît des difficultés économiques, mais qui est aussi en forte croissance et permet d’avoir une influence sur l’ensemble de la sous-région. Nairobi est un hub [pôle] économique, qui permet d’avoir des relations avec l’Ouganda, avec le Burundi, avec le Congo, avec l’ensemble de l’Afrique de l’Est. Donc pour Barack Obama c’est important.
Ce qui est important aussi c’est finalement de présenter un bilan – on sait qu’on est à la fin du deuxième mandat d’Obama – de présenter un bilan de politique étrangère qui soit un peu meilleur à l’égard de l’Afrique.
Certains ont le sentiment que Barack Obama a évité le continent africain. Est-ce un sentiment justifié selon vous ?
Oui, c’est un sentiment justifié qui s’explique de manière assez complexe. Barack Obama est très intéressé par l’Afrique. Il s’est intéressé de manière identitaire à l’Afrique. Il ne faut pas penser qu’il a mis de côté ses origines ; il a beaucoup discuté, notamment avec sa sœur qui est kenyane. Il a une dent très personnelle contre les chefs d’Etat africains, mais pas en tant que président des Etats-Unis, en tant que fils d’Africain.
Et finalement il a eu du mal à faire la part des choses. Il a voulu jouer les sociétés civiles africaines contre les chefs d’Etat africains. Et finalement sa diplomatie positive, qui a marché avec l’Iran, qui a marché avec Cuba, qui donne aujourd’hui des résultats avec les ennemis de l’Amérique, cette diplomatie positive il ne l’a pas utilisée avec des petits Etats d’Afrique.
Vous vous souvenez du tacle du président sénégalais Macky Sall – tacle gentil – il y a quelques mois à l’encontre d’Obama : lorsque Obama lui parlait des droits des homosexuels au Sénégal il répondait : oui, mais nous au Sénégal on a aboli la peine de mort depuis très longtemps ! Donc les chefs d’Etat africains ne veulent plus de leçons de morale. On sait qu’ils ont beaucoup plus de facilité à parler avec la Chine, à signer des contrats avec la Chine.
On sait qu’après sa présidence, Barack Obama veut monter une fondation et surtout s’engager beaucoup plus avant à l’égard de l’Afrique, donc il faut qu’il soigne absolument cette fin de mandat, qu’il signe quelques contrats. On sait que le port de Lamu [le corridor de Lamu au Kenya NDLR] qui est un port important, va être fondé par en partie des investissements américains. Donc c’est important pour les Etats-Unis.
Barack Obama peut encore se rattraper avant la fin de son mandat ou bien faudra t-il attendre, comme vous le disiez, des actions à postériori ?
Non, il peut encore signer ces contrats. On parle beaucoup aux Etats-Unis de la malédiction du second mandat. Or, on voit qu’en toute fin de second mandat Barack Obama arrive à avoir des résultats. Pourquoi pas des résultats avec l’Afrique ?
Il a lancé un certain nombre de dispositifs qui sont à la traîne, notamment dans le domaine de Electricity Power Africa, avec l’électrification de l’Afrique lancé en 2013 mais qui tarde à se concrétiser. Il faut se dire que si Barack Obama arrive à aller au bout de ce projet, ce sera déjà un bilan correct. Finalement la déception ce n’est pas une déception à l’encontre seulement d’Obama, c'est une déception à l’égard des Etats-Unis.
Mais si l’on fait l’histoire des relations entre Etats-Unis et Afrique c’est une histoire de déception. Ça remonte à Roosevelt, à Kennedy. Il y a toujours eu beaucoup d’espoir en Afrique. Les Etats-Unis sont en quelque sorte un grand frère : c’est un pays où il y a 33 millions de Noirs américains qui font partie de cette diaspora africaine, eh bien ce pays finalement, promet beaucoup et ce pays est à la traîne lorsqu’il s’agit véritablement d’aider le continent.
François Durpaire, sur le dossier de la lutte antiterroriste à quoi faut-il s’attendre aujourd’hui de la part de Barack Obama, quels engagements ?
C’était un casse-tête d’ailleurs : beaucoup ont cherché à dissuader Barack Obama, même d’aller au Kenya [en raison] des difficultés liées à la sécurité. Il est très important que les Etats-Unis s’engagent plus avant. On le sait, ils s’engagent dans la lutte contre le terrorisme, contre les shebabs. On va le voir au Kenya, on va le voir surtout en Ethiopie : après sa visite au Kenya, Barack Obama va en Ethiopie. C’est la première fois qu’un président en exercice américain ira en Ethiopie. Là encore, on attend un certain nombre d’engagements dans la lutte contre le terrorisme et ça fait polémique aux Etats-Unis parce que certains, notamment au sein de la diaspora éthiopienne, se disent : Barack Obama ne va peut-être pas parler beaucoup des droits de l’Homme.
Il y a des problèmes de liberté d’expression, notamment en Ethiopie. Au nom de la lutte contre le terrorisme, ils mettent un peu de côté cette dimension de défense des droits de l’Homme. C’est ce qui fait le Une des médias américains, même si – je ne vous le cache pas – les grands médias américains ne parlent pas beaucoup de la visite de Barack Obama en Afrique. Ce qui montre qu’aux Etats-Unis, l’Afrique n’est vraiment pas le continent qui est en tête des priorités dans l’opinion.
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