Le Monde - Dans le sillage de l’Aéropostale (7/8). Près d’un siècle après les deux aventuriers – l’un à dos de dromadaire, l’autre en avion –, le raid Latécoère a relié Nouadhibou à Nouakchott.
Etat moteur : OK. Pression huile : OK. Température huile : OK. Bob Moreno et Ronan Goujon, qui ont embarqué sur le raid Latécoère-Aéropostale le reporter du Monde Afrique, pilote d’ULM, ont accepté de lui laisser les commandes de leur DR-400 pour une navigation entre Nouadhibou et Nouakchott, en Mauritanie, soit environ 450 km. Le risque est mesuré. L’avion est équipé de doubles commandes et Bob Moreno, assis à la place du copilote, compte près de 300 heures de vol.
« Nouadhibou, de Foxtrot-Golf-Tango-Papa-Novembre. Prêt pour décollage en piste 02. » « Décollage autorisé. Bon vol », répond la tour de contrôle. Manette des gaz poussée à fond, une légère action sur le manche permet à l’avion, lancé à 110 km/h, de quitter le sol. A 150 km/h, il s’élève dans le ciel légèrement voilé du matin. Après son décollage, le premier sentiment que ressent tout pilote est celui d’être libre.
« Le désert ne ment pas »
A l’époque de l’Aéropostale, Nouadhibou, qui s’appelait Port-Etienne, n’était qu’une petite base aérienne, une presqu’île avec une soixantaine de tirailleurs égarés au milieu d’arbres et de troupeaux de chèvres et de chameaux. « C’est en plein désert. Il y a bien trois maisons », écrit Saint-Exupéry à sa mère. « Située à la lisière des territoires insoumis, ce n’est pas une ville », ajoute-t-il dans Terre des hommes.
Près d’un siècle plus tard, la ville est la capitale économique de la Mauritanie. Elle tire ses revenus de ses ressources halieutiques – grâce à l’upwelling, une remontée des eaux du fond des océans vers la surface, les côtes mauritaniennes sont parmi les plus poissonneuses du monde – et du fer qui est extrait des mines de Zouerate, à 670 km au nord-est.
Le minerai est acheminé jusqu’au port de Nouadhibou par un train de près de deux kilomètres, l’un des plus longs du monde. A travers la verrière du poste de pilotage, on distingue justement un convoi qui part vers l’est. Il ressemble à une longue chenille noire au milieu du désert. Après avoir contourné la baie du Lévrier, le DR-400 met le cap vers le sud.
Une vingtaine de minutes après le décollage, l’avion survole le parc national du Banc d’Arguin, fondé en 1976 grâce à l’insistance de Théodore Monod (1902-2000). En 1923, alors jeune assistant au Muséum national d’histoire naturelle en mission océanographique à Port-Etienne, le jeune homme se joint à une caravane qui doit rejoindre Saint-Louis, au Sénégal, via Nouakchott. Sur 800 km, Théodore Monod entreprend alors sa première méharée, qu’il va raconter dans son livre Maxence au désert.
Le tronçon Casablanca-Dakar de l’Aéropostale ayant été ouvert en juin 1925 par Emile Lécrivain et Edmond Lassalle, il n’a pas pu voir passer leurs avions au-dessus de sa tête. Le naturaliste a-t-il croisé Mermoz ou Saint-Exupéry au cours de sa longue existence ? Ils avaient de nombreux points communs, dont cette passion pour les dunes, les étoiles et le silence. « Le désert appartient à ces paysages capables de faire naître en vous certaines interrogations, écrit Théodore Monod. Il est beau parce qu’il est propre et ne ment pas. »
Pêcher avec l’aide des dauphins
A environ 6 000 pieds (2 000 mètres), la façade océanique de la Mauritanie s’étire à perte de vue. A main gauche, on aperçoit le village d’Iouik, qui compte quelques dizaines d’habitations. Il est habité par des Imraguen, un peuple connu autrefois pour une technique de pêche très particulière qui consistait à siffler des dauphins – ou à taper l’eau avec des planchettes en bois pour les appeler – afin qu’ils ramènent les poissons (principalement des mulets) vers le rivage où étaient installés leurs filets… Mais cette méthode ancestrale a été abandonnée à la fin des années 1990 pour préserver les ressources halieutiques. Aujourd’hui, c’est à bord de magnifiques lanches à voile latine que les Imraguen glissent sur l’eau et vont pêcher.
Près du cap Timiris que l’avion survole, Antoine de Saint-Exupéry a eu une panne en février 1927, alors qu’il faisait la liaison entre Port-Etienne et Dakar. Il est alors passager et c’est son premier vol dans la région. « Pour mon baptême… une nuit en panne, l’avion écrasé dans les dunes, au beau milieu du Sahara, écrit-il à Jean Escot, son camarade de régiment à Strasbourg et son colocataire à Paris pendant deux années. Heureusement repêchés par l’autre avion [les avions de l’Aéropostale volaient en binôme pour plus de sécurité]. C’est une vie épique et comme tu devrais la vivre. On n’est jeune qu’une fois… »
Un vent de sable s’est levé et la visibilité s’est réduite au nord de Nouakchott. Bob Moreno prend le manche pour atterrir dans la capitale mauritanienne, que Saint-Exupéry considérait « comme aussi isolée qu’un îlot perdu dans la mer ». Sur la piste du nouvel aéroport, inauguré en juin 2016 à près de 25 km du centre-ville, il fait une chaleur de plomb.
Par Pierre Lepidi (Nouakchott, envoyé spécial)
Etat moteur : OK. Pression huile : OK. Température huile : OK. Bob Moreno et Ronan Goujon, qui ont embarqué sur le raid Latécoère-Aéropostale le reporter du Monde Afrique, pilote d’ULM, ont accepté de lui laisser les commandes de leur DR-400 pour une navigation entre Nouadhibou et Nouakchott, en Mauritanie, soit environ 450 km. Le risque est mesuré. L’avion est équipé de doubles commandes et Bob Moreno, assis à la place du copilote, compte près de 300 heures de vol.
« Nouadhibou, de Foxtrot-Golf-Tango-Papa-Novembre. Prêt pour décollage en piste 02. » « Décollage autorisé. Bon vol », répond la tour de contrôle. Manette des gaz poussée à fond, une légère action sur le manche permet à l’avion, lancé à 110 km/h, de quitter le sol. A 150 km/h, il s’élève dans le ciel légèrement voilé du matin. Après son décollage, le premier sentiment que ressent tout pilote est celui d’être libre.
« Le désert ne ment pas »
A l’époque de l’Aéropostale, Nouadhibou, qui s’appelait Port-Etienne, n’était qu’une petite base aérienne, une presqu’île avec une soixantaine de tirailleurs égarés au milieu d’arbres et de troupeaux de chèvres et de chameaux. « C’est en plein désert. Il y a bien trois maisons », écrit Saint-Exupéry à sa mère. « Située à la lisière des territoires insoumis, ce n’est pas une ville », ajoute-t-il dans Terre des hommes.
Près d’un siècle plus tard, la ville est la capitale économique de la Mauritanie. Elle tire ses revenus de ses ressources halieutiques – grâce à l’upwelling, une remontée des eaux du fond des océans vers la surface, les côtes mauritaniennes sont parmi les plus poissonneuses du monde – et du fer qui est extrait des mines de Zouerate, à 670 km au nord-est.
Le minerai est acheminé jusqu’au port de Nouadhibou par un train de près de deux kilomètres, l’un des plus longs du monde. A travers la verrière du poste de pilotage, on distingue justement un convoi qui part vers l’est. Il ressemble à une longue chenille noire au milieu du désert. Après avoir contourné la baie du Lévrier, le DR-400 met le cap vers le sud.
Une vingtaine de minutes après le décollage, l’avion survole le parc national du Banc d’Arguin, fondé en 1976 grâce à l’insistance de Théodore Monod (1902-2000). En 1923, alors jeune assistant au Muséum national d’histoire naturelle en mission océanographique à Port-Etienne, le jeune homme se joint à une caravane qui doit rejoindre Saint-Louis, au Sénégal, via Nouakchott. Sur 800 km, Théodore Monod entreprend alors sa première méharée, qu’il va raconter dans son livre Maxence au désert.
Le tronçon Casablanca-Dakar de l’Aéropostale ayant été ouvert en juin 1925 par Emile Lécrivain et Edmond Lassalle, il n’a pas pu voir passer leurs avions au-dessus de sa tête. Le naturaliste a-t-il croisé Mermoz ou Saint-Exupéry au cours de sa longue existence ? Ils avaient de nombreux points communs, dont cette passion pour les dunes, les étoiles et le silence. « Le désert appartient à ces paysages capables de faire naître en vous certaines interrogations, écrit Théodore Monod. Il est beau parce qu’il est propre et ne ment pas. »
Pêcher avec l’aide des dauphins
A environ 6 000 pieds (2 000 mètres), la façade océanique de la Mauritanie s’étire à perte de vue. A main gauche, on aperçoit le village d’Iouik, qui compte quelques dizaines d’habitations. Il est habité par des Imraguen, un peuple connu autrefois pour une technique de pêche très particulière qui consistait à siffler des dauphins – ou à taper l’eau avec des planchettes en bois pour les appeler – afin qu’ils ramènent les poissons (principalement des mulets) vers le rivage où étaient installés leurs filets… Mais cette méthode ancestrale a été abandonnée à la fin des années 1990 pour préserver les ressources halieutiques. Aujourd’hui, c’est à bord de magnifiques lanches à voile latine que les Imraguen glissent sur l’eau et vont pêcher.
Près du cap Timiris que l’avion survole, Antoine de Saint-Exupéry a eu une panne en février 1927, alors qu’il faisait la liaison entre Port-Etienne et Dakar. Il est alors passager et c’est son premier vol dans la région. « Pour mon baptême… une nuit en panne, l’avion écrasé dans les dunes, au beau milieu du Sahara, écrit-il à Jean Escot, son camarade de régiment à Strasbourg et son colocataire à Paris pendant deux années. Heureusement repêchés par l’autre avion [les avions de l’Aéropostale volaient en binôme pour plus de sécurité]. C’est une vie épique et comme tu devrais la vivre. On n’est jeune qu’une fois… »
Un vent de sable s’est levé et la visibilité s’est réduite au nord de Nouakchott. Bob Moreno prend le manche pour atterrir dans la capitale mauritanienne, que Saint-Exupéry considérait « comme aussi isolée qu’un îlot perdu dans la mer ». Sur la piste du nouvel aéroport, inauguré en juin 2016 à près de 25 km du centre-ville, il fait une chaleur de plomb.
Par Pierre Lepidi (Nouakchott, envoyé spécial)
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Source : Le Monde (France)
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