samedi 23 juin 2012

Le droit à la honte.


1994, vingt cinq professeurs triés parmi les meilleurs cadres de l'enseignement mauritanien, furent envoyés au Koweït.Ces enseignants constituaient la quintessence de la formation en matière d'enseignement, mais aussi une élite, dont le but premier était de donner une image de marque de notre pays dans cette terre lointaine.

Parmi ce groupe il y avait non seulement des enseignants en langues française et anglaise, mais surtout une formation de grands théologiens, des experts en religion islamique et en lettres arabes. Le rêve de tout ce beau monde était de montrer et de renforcer le visage de la Mauritanie "arabe", laMauritanie "fer de lance de la religion islamique"

La Mauritanie, pays fidèle, qui a préservé tout ce que les autres arabes ont négligé et détruit. Bref la Mauritanie garde des sceaux de l'arabité et de l'islam.

Certaines nationalités, cousines, qui avaient la main mise sur le marché de travail dans la presqu'ile arabique, furent profondément inquiétées par ces nouveaux intrus, qui menaçaient non seulement leur hégémonie sur ces poules aux œufs d'or, que représentaient ces émirats, mais risquaient en même temps de mettre en exergue une ignorance, érigée en savoir et par laquelle certain doctes peu soucieux de la morale, pompaient goulument les pétrodollars presque gratuitement et dans une impunité quasi-totale.

Les journaux accueillirent les nouveaux venus par une phrase, qui restera éternellement gravée dans ma mémoire et qui disait en substance "Les mauritaniens arrivent" un peu comme qui dirait "Attention les criquets envahissent la région" Les 25 boubous furent rapidement déchiquetés par une machine infernale, qui n'épargnait aucune arme pour les vilipender, les réduire à une risée collective, tourner en dérision tout leur zèle et leur ardeur à accomplir leur mission. Ils furent taxés d'ignorants qui ne savaient rien de l'islam, d'homme des siècles d'obscurité qui parlaient l'arabe des films cartons etc.

Première année 16 professeurs du groupe furent tout simplement remerciés et rentrèrent a la maison plein d'amertume de déception et submergés par un flot de manigances duquel ils ont été victimes et auquel ils n'avaient absolument rien compris. Le message était clair: tous ceux qui avaient été licenciés écrivaient de droite à gauche.

Un koweitien me dira quelques années plus tard, les larmes aux yeux: " Comment se fait il queMohamed M… qui maitrise entièrement le Coran, un homme qui récite la "Elviya de Ibn Malik", un érudit de ce calibre, peut il être taxé de faiblesse culturelle?" Ce koweitien, ainsi que plusieurs autres imams koweitiens et d'autres nationalités cousines, venaient tous simplement réviser leurs "Sourates" (pas bien cuites) devant ce "faiblard culturel"

Les quelques profs de français et d'anglais qui restèrent au Koweït purent par la suite prouver qu'ils n'étaient pas aussi comestibles qu'on croyait et accédèrent à des postes très honorables au sein du ministère de l'éducation. Malgré l'oubli et la négligence de leur ministère de tutelle qui n'a jamais eu de contact avec eux pendant presque une vingtaine d'années.

Aujourd'hui en regardant les émissions épisodiques de la chaine "Chinguit", je vois une pléthore d'intellectuels bien connus et très respectables, se trémousser devant un responsable d'une ambassade de ces pays "cousins", qui ont essayé par tous les moyens de nous réduire au néant. Chacun usant de toute sa verve pour faire cette allégeance à la quelle je ne crois plus.

Je n'ai pas besoin des autres pour être moi-même. Je suis le mauritanien fier de sa mauritanité. Je suis le musulman fier de sa religion et solide par sa foi. Je ne veux pas être faible par deux fois : à l'intérieur et à l'extérieur. L'arabe classique, je suis le seul à le parler, avec les présentateurs des bulletins d'information arabes.

Mon islam n'est pas politique. Il vient de ma nature profonde de rentrer en contact avec mon Seigneur pour le glorifier et implorer son pardon. Je ne suis ni agressif, ni mesquin. Ceux qui viennent chez moi vivent comme des rois et dans le respect absolu. Mais je ne veux pas être manipulé pour des causes où je représente toujours le maillon faible de la chaine.

Je ne peux accepter que chez moi, ils soient tout et que chez eux je ne sois rien. Je veux être moi, par moi et non pas par les autres. Je ne peux oublier l'image persistante de ce vieux mauritanien que j'ai rencontré il y a quelques semaine a Doha et qui ne pouvait plus dire une phrase sans y insérer le mot "Mouch" "mouch ma'qoul" "mouch zeyn""mouch" chez eux est une négation et chez nous un chat. Comment peut-on oublier si vite une langue maternelle qu'on a Manipulé pendant une éternité et la remplacer par un dialecte Qu'on ne peut même pas analyser grammaticalement?

J'aurai honte et le droit d'avoir honte quand je vois que mes concurrents les plus acharnés peuvent disposer de chez moi, comme de chez eux, et que mon identité soit absolument liée à la leur.

Mohamed ould Hanefi 
chef département de français Koweït.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire