Je le dis souvent : nous resterons toujours inconsolables face à un décès ! Les larmes ont beau couler, au rythme d’un torrent, elles ne ranimeront jamais le souffle ayant gagné les cieux. Si cher soit-il. Mais un bout de témoignage, sur son œuvre, sera toujours utile à ceux qui auront manqué les traces de celle-ci.
Ces odes à Ousmane Moussa Diagana, parti un jour d’août 2001, ne doivent être lues que sous cette part de soi que je partage. Aussi ma voix tonnera autour de 2 évocations, souffles.
La prémonition de la mort, qui sera au cœur du recueil Cherguiya , comme pour tracer les chemins du départ, de l’adieu. Puis le refus de la lâcheté : l’amour ! Pas de scrupule à ouvrir la paume de sa main là où l’ensemencement du corps entre dans le dire.
Ces odes à Ousmane Moussa Diagana, parti un jour d’août 2001, ne doivent être lues que sous cette part de soi que je partage. Aussi ma voix tonnera autour de 2 évocations, souffles.
La prémonition de la mort, qui sera au cœur du recueil Cherguiya , comme pour tracer les chemins du départ, de l’adieu. Puis le refus de la lâcheté : l’amour ! Pas de scrupule à ouvrir la paume de sa main là où l’ensemencement du corps entre dans le dire.
Ma part d’Ousmane
C’est étudiant, à l’université de Nouakchott, que j’ai connu le Pr Ousmane Moussa Diagana en 1992. Je venais de publier une tribune dans l’hebdomadaire Mauritanie Nouvelles, Et la jeunesse devint…Satan . La colère d’un observateur blessé par un scrutin biaisé [un bulletin fait pour satisfaire le président français François Mitterrand qui conditionnait son aide aux pays africains à l’ouverture démocratique], mais surtout à cause de la dent dure que des parents avaient eu. Certains allant jusqu’à répudier enfants et femmes… privés de liberté de choix.
Alors que je venais suivre discrètement ses cours [j’étais en réalité inscrit au département de philosophie], Pr Diagana me reconnut grâce à la photo qui accompagnait l’article du journal qu’il avait dans sa pile de documents. Nos regards se croisèrent, et il y eut ce sourire dont il tenait le secret. Un flair pour une complicité future. Il vint à ma hauteur et me dit : « C’est Bios, non ?» Intimidé, je réponds : « oui ». « Courage, j’ai lu votre tribune », poursuit-il en me gratifiant d’un second sourire.
De ce jour de mars date notre amitié. Je dis amitié, puisque même devenant mon mentor, il ne voudra jamais d’un rapport de hiérarchie. Alors qu’il était de la promotion de mon grand frère avec qui il a fait les mêmes classes à Kaédi et à Nouakchott, pour moi il devenait presque un égal. Je passais le clair de mon temps chez lui à l’îlot V. « Ah les amis, toujours en discussions ? Vous devez avoir beaucoup de choses à vous dire, les poètes » ! C’est par cette phrase que Dr Manthita Tandia, son épouse, nous taquinait à chacun de ses retours.
Nous pouvions rester là à deviser jusque tard dans la nuit. Moments ponctués de joutes poétiques, entre un maître et son élève. Souvent nous sortions marcher. Je recevais alors des cours de littérature, de confessions poétiques mais aussi de topographie de la ville. Il lui arrivait de pousser de grands éclats de rires, se tordre en évoquant les premières grèves au lycée national et autres scènes avec l’ami de toujours, l’ancien ministre Camara Mody. Quand je transmettrai les railleries à mon frère, celui-ci marquait de longs moments de silence et livrait à son tour des anecdotes.
A travers moi, les deux avaient renoué, puisque si Diagana était parti du côté des lettres,Alassane matheux de série C avait opté pour les aiguilleurs du ciel !
Ousmane c’était donc le poète attentif. L’Autre, dont « la fragrance de la chair/ A l’indécence de feu » hante ses nuits et guide son sillon « Sur le pollen des vents » . Affaibli, devant l’ambre des sentiments, le poète cède : « Ta main qui noue et dénoue/ Ta main qui palpe et caresse/ qui respire ma main […]/ Tes mains éoliennes, O Cherguiya» . Les mots se dissipent devant l’ardent désir de rejoindre l’Autre dans « Cette façon à toi/ D’envelopper la tombée du soir/ Du soulèvement ample/ De tes formes mouvantes/ Sur les courbures des dunes ». Le ton respire au rythme de « Cette façon à toi/ De t’étendre/ Sur l’insolence riante d’arabesques » . Et, attentif à la « Danse d’une Juive et d’un fils de Cham » , le poète suspend son regard « dans la respiration ample du soulèvement de tes dunes jumelles » .
Ses arabesques à Cherguiya sont un autre amour discret à la Patrie, à la Mauritanie ! Un pays, une terre que le professeur, docteur d’Etat en linguistique, n’a jamais voulu quitter. Malgré les nombreuses sollicitations des universités étrangères ; sénégalaises, américaines et françaises notamment. Pour lui l’œuvre utile était ici.
A l’université de Nouakchott, Pr Diagana était disponible pour tous ! Linguiste pointu, il forçait l’admiration par sa culture générale et ses connaissances des sociétés mauritaniennes. Rien ne lui échappait des us et coutumes maure, pulaar, soninké et wolof. Son quotidien était fait des perles poétiques de Sid’Abdallah, Adebba et la belle Azer, les murmures du lêlé, deLeïla, et des nuits confidentes des femmes Messoufa de Oualata.
Les étudiants ayant travaillé sous sa direction ont en commun l’ethnie de leur dévouement : la région et la couleur s’effaçaient. Votre serviteur, inscrit en philosophie, son mémoire d’anthropologie portant sur Enfance et jeunesse en milieu pulaar du Guidimakha a été codirigé par lui. Et lui doit aussi son départ en France.
L’histoire est celle d’un article, publié dans Maghreb-Hebdo , sur l’écrivain Congolais Sony Labou Tansi. Mort le 14 juin, je rends hommage au dramaturge du Rocardo Zulu. Dès la parution du texte, Ousmane me presse de l’envoyer à la directrice du Festival international des théâtres francophones de Limoges, Monique Blin qui, dit-il, avait une grande admiration pour l’auteur de La parenthèse de sang… Un mois après, je reçois une invitation des Francophonies en limousin, pour un hommage à Sony ! Mon argent de poche, c’estOusmane qui me le donnera !
Ce téléphone que je m’interdis désormais d’éteindre
Je le disais plus haut, il arrive que la plume anticipe sur le destin de la celui qui la saisie. En pleine jouvence, et alors même qu’il conversait avec l’aimée, un filet macabre arrive au poète : « J’ai des crampes dans le crâne » , souffle-t-il dans le vent. A l’invite répond la hardiesse poétique : « Par où est-elle passée, la mort ?/ Dites-lui que je l’attends » .
Le soleil s’est couché, le 9 août 2001. Un jour aux feuillages mâtinés, que je revois à une heure polluée : 13h15. La veille, occupé par le bouclage du journal L’Autre Afrique, je n’ai posé la tête qu’à 5h du matin. La Une du N°2 de l’Hebdo : Les langues qui unissent l’Afrique. Suivant les régions et la densité des locuteurs nous avions repéré : l’arabe, l’haoussa, le swahili, le lingala et le peul. Depuis Nouakchott, l’auteur de La langue soninké, Morphosyntaxe et sens et Prix Robert Delavignette pour son Chants traditionnels en pays soninké , nous distilla les conseils les plus précieux. Il relira même le contenu du dossier.
Dans l’après-midi du 8 août je le rappelle pour un dernier détail. Je promets de lui remettre son exemplaire, dans deux jours, puisqu’il devait être à Paris le 10 août pour apporter la dernière touche à son dictionnaire de langue soninké que les éditions Karthala s’apprêtaient à publier.
Il me charrie, comme à ses habitudes, et je lui demande de m’apporter des journaux du pays (la presse électronique n’avait pas encore explosée). Il me parle de quelques Unes au téléphone, pour un avant-goût ! Je n’en saurai guère plus : l’avion est en retard pour toujours ! C’est le message du répondeur de mon portable que je rallume à mon réveil qui me l’apprend : «Dembo est parti, quelle perte ».
J’écoute et réécoute le message. La voix, celle de son cousin, est submergée de sanglots. La suite je la saurai en rappelant le numéro de téléphone. Depuis je rechigne à éteindre cet appareil, hanté par la mauvaise nouvelle du téléphone qui se rallume.
Ousmane Moussa Diagana, dit Dembo, était TOUT pour moi : le professeur, le poète, le grand-frère qui a encouragé mes pas dans l’écriture. Jusqu’à cette largesse de préfacer mon livre De la naissance au mariage chez les Peuls de Mauritanie . Son écrit sera un Avant-propos, à titre posthume. Et c’est Cheikh Hamidou Kane, un autre généreux homme, qui assurera la préface.
Je finirai par la reprise des joutes de devinettes amoureuses qu’il reprend dans Cherguiya : «Et que reste-t-il de la nuit/ Quand meurt à petits feux la veillée des belles ? [Réponse :] Rien que silence/ Rien que gestes tendres/ Rien que frissons de mots/ Et frissons de cendres » . Ousmane-Dembo que ton caveau soit tenu par tes vers-provisions : «Le grain-duvet de beauté de Cherguiya / Cette poignée de sable, d’argile/ Cette rasade d’eau pure, de lait/ Cette enivrante odeur de terre mouillée » .
Bios Diallo
C’est étudiant, à l’université de Nouakchott, que j’ai connu le Pr Ousmane Moussa Diagana en 1992. Je venais de publier une tribune dans l’hebdomadaire Mauritanie Nouvelles, Et la jeunesse devint…Satan . La colère d’un observateur blessé par un scrutin biaisé [un bulletin fait pour satisfaire le président français François Mitterrand qui conditionnait son aide aux pays africains à l’ouverture démocratique], mais surtout à cause de la dent dure que des parents avaient eu. Certains allant jusqu’à répudier enfants et femmes… privés de liberté de choix.
Alors que je venais suivre discrètement ses cours [j’étais en réalité inscrit au département de philosophie], Pr Diagana me reconnut grâce à la photo qui accompagnait l’article du journal qu’il avait dans sa pile de documents. Nos regards se croisèrent, et il y eut ce sourire dont il tenait le secret. Un flair pour une complicité future. Il vint à ma hauteur et me dit : « C’est Bios, non ?» Intimidé, je réponds : « oui ». « Courage, j’ai lu votre tribune », poursuit-il en me gratifiant d’un second sourire.
De ce jour de mars date notre amitié. Je dis amitié, puisque même devenant mon mentor, il ne voudra jamais d’un rapport de hiérarchie. Alors qu’il était de la promotion de mon grand frère avec qui il a fait les mêmes classes à Kaédi et à Nouakchott, pour moi il devenait presque un égal. Je passais le clair de mon temps chez lui à l’îlot V. « Ah les amis, toujours en discussions ? Vous devez avoir beaucoup de choses à vous dire, les poètes » ! C’est par cette phrase que Dr Manthita Tandia, son épouse, nous taquinait à chacun de ses retours.
Nous pouvions rester là à deviser jusque tard dans la nuit. Moments ponctués de joutes poétiques, entre un maître et son élève. Souvent nous sortions marcher. Je recevais alors des cours de littérature, de confessions poétiques mais aussi de topographie de la ville. Il lui arrivait de pousser de grands éclats de rires, se tordre en évoquant les premières grèves au lycée national et autres scènes avec l’ami de toujours, l’ancien ministre Camara Mody. Quand je transmettrai les railleries à mon frère, celui-ci marquait de longs moments de silence et livrait à son tour des anecdotes.
A travers moi, les deux avaient renoué, puisque si Diagana était parti du côté des lettres,Alassane matheux de série C avait opté pour les aiguilleurs du ciel !
Ousmane c’était donc le poète attentif. L’Autre, dont « la fragrance de la chair/ A l’indécence de feu » hante ses nuits et guide son sillon « Sur le pollen des vents » . Affaibli, devant l’ambre des sentiments, le poète cède : « Ta main qui noue et dénoue/ Ta main qui palpe et caresse/ qui respire ma main […]/ Tes mains éoliennes, O Cherguiya» . Les mots se dissipent devant l’ardent désir de rejoindre l’Autre dans « Cette façon à toi/ D’envelopper la tombée du soir/ Du soulèvement ample/ De tes formes mouvantes/ Sur les courbures des dunes ». Le ton respire au rythme de « Cette façon à toi/ De t’étendre/ Sur l’insolence riante d’arabesques » . Et, attentif à la « Danse d’une Juive et d’un fils de Cham » , le poète suspend son regard « dans la respiration ample du soulèvement de tes dunes jumelles » .
Ses arabesques à Cherguiya sont un autre amour discret à la Patrie, à la Mauritanie ! Un pays, une terre que le professeur, docteur d’Etat en linguistique, n’a jamais voulu quitter. Malgré les nombreuses sollicitations des universités étrangères ; sénégalaises, américaines et françaises notamment. Pour lui l’œuvre utile était ici.
A l’université de Nouakchott, Pr Diagana était disponible pour tous ! Linguiste pointu, il forçait l’admiration par sa culture générale et ses connaissances des sociétés mauritaniennes. Rien ne lui échappait des us et coutumes maure, pulaar, soninké et wolof. Son quotidien était fait des perles poétiques de Sid’Abdallah, Adebba et la belle Azer, les murmures du lêlé, deLeïla, et des nuits confidentes des femmes Messoufa de Oualata.
Les étudiants ayant travaillé sous sa direction ont en commun l’ethnie de leur dévouement : la région et la couleur s’effaçaient. Votre serviteur, inscrit en philosophie, son mémoire d’anthropologie portant sur Enfance et jeunesse en milieu pulaar du Guidimakha a été codirigé par lui. Et lui doit aussi son départ en France.
L’histoire est celle d’un article, publié dans Maghreb-Hebdo , sur l’écrivain Congolais Sony Labou Tansi. Mort le 14 juin, je rends hommage au dramaturge du Rocardo Zulu. Dès la parution du texte, Ousmane me presse de l’envoyer à la directrice du Festival international des théâtres francophones de Limoges, Monique Blin qui, dit-il, avait une grande admiration pour l’auteur de La parenthèse de sang… Un mois après, je reçois une invitation des Francophonies en limousin, pour un hommage à Sony ! Mon argent de poche, c’estOusmane qui me le donnera !
Ce téléphone que je m’interdis désormais d’éteindre
Je le disais plus haut, il arrive que la plume anticipe sur le destin de la celui qui la saisie. En pleine jouvence, et alors même qu’il conversait avec l’aimée, un filet macabre arrive au poète : « J’ai des crampes dans le crâne » , souffle-t-il dans le vent. A l’invite répond la hardiesse poétique : « Par où est-elle passée, la mort ?/ Dites-lui que je l’attends » .
Le soleil s’est couché, le 9 août 2001. Un jour aux feuillages mâtinés, que je revois à une heure polluée : 13h15. La veille, occupé par le bouclage du journal L’Autre Afrique, je n’ai posé la tête qu’à 5h du matin. La Une du N°2 de l’Hebdo : Les langues qui unissent l’Afrique. Suivant les régions et la densité des locuteurs nous avions repéré : l’arabe, l’haoussa, le swahili, le lingala et le peul. Depuis Nouakchott, l’auteur de La langue soninké, Morphosyntaxe et sens et Prix Robert Delavignette pour son Chants traditionnels en pays soninké , nous distilla les conseils les plus précieux. Il relira même le contenu du dossier.
Dans l’après-midi du 8 août je le rappelle pour un dernier détail. Je promets de lui remettre son exemplaire, dans deux jours, puisqu’il devait être à Paris le 10 août pour apporter la dernière touche à son dictionnaire de langue soninké que les éditions Karthala s’apprêtaient à publier.
Il me charrie, comme à ses habitudes, et je lui demande de m’apporter des journaux du pays (la presse électronique n’avait pas encore explosée). Il me parle de quelques Unes au téléphone, pour un avant-goût ! Je n’en saurai guère plus : l’avion est en retard pour toujours ! C’est le message du répondeur de mon portable que je rallume à mon réveil qui me l’apprend : «Dembo est parti, quelle perte ».
J’écoute et réécoute le message. La voix, celle de son cousin, est submergée de sanglots. La suite je la saurai en rappelant le numéro de téléphone. Depuis je rechigne à éteindre cet appareil, hanté par la mauvaise nouvelle du téléphone qui se rallume.
Ousmane Moussa Diagana, dit Dembo, était TOUT pour moi : le professeur, le poète, le grand-frère qui a encouragé mes pas dans l’écriture. Jusqu’à cette largesse de préfacer mon livre De la naissance au mariage chez les Peuls de Mauritanie . Son écrit sera un Avant-propos, à titre posthume. Et c’est Cheikh Hamidou Kane, un autre généreux homme, qui assurera la préface.
Je finirai par la reprise des joutes de devinettes amoureuses qu’il reprend dans Cherguiya : «Et que reste-t-il de la nuit/ Quand meurt à petits feux la veillée des belles ? [Réponse :] Rien que silence/ Rien que gestes tendres/ Rien que frissons de mots/ Et frissons de cendres » . Ousmane-Dembo que ton caveau soit tenu par tes vers-provisions : «Le grain-duvet de beauté de Cherguiya / Cette poignée de sable, d’argile/ Cette rasade d’eau pure, de lait/ Cette enivrante odeur de terre mouillée » .
Bios Diallo
*Bios Diallo. Poète et auteur de : Les pleurs de l’arc-en-ciel (L’Harmattan, 2002, préface de Babacar Sall) et de Les Os de la Terre (L’Harmattan, 2009), Une Vie de Sébile (Roman, L’Harmattan, 2010), De la naissance au mariage chez les Peuls de Mauritanie (Essai, Ed Karthala 2005, préface de Cheikh Hamidou Kane).
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